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Politique

Qu’est-ce que la “démocratie abolitionniste” ?

Maximilian Kisters publié le 15 mai 2023 5 min

Réclamant récemment sur Twitter l’avènement d’une « Abolition Democracy », les membres de l’organisation écologiste allemande Ende Gelände (« Pas plus loin ») ont été accusés de vouloir abolir la démocratie. L’expression dit en réalité tout autre chose – et même précisément l’inverse. Explications.


 

  • Du haut de leur tour d’ivoire, les membres de Ende Gelände veulent supprimer définitivement la démocratie. C’est du moins ce qui a été reproché aux partisans de cette organisation écologiste allemande, après qu’ils aient appelé à une « Abolition Democracy ». L’expression, en réalité, ne dit pas ce qu’elle a l’air de dire. Elle est issue du mouvement abolitionniste, qui luttait pour l’abolition de l’esclavage. Après la fin de celui-ci, la situation des Noirs aux États-Unis s’est certes améliorée, mais de nombreux problèmes ont persisté. La ségrégation, par exemple, n’y a été complètement abolie que dans les années 1960. Malgré cela, les abolitionnistes observent encore des structures racistes dans les institutions américaines contemporaines.
  • L’idée de « démocratie abolitionniste » a été surtout influencée par W. E. B. Du Bois (1868-1963), un historien et philosophe américain qui a joué un rôle important dans le mouvement des droits civiques aux États-Unis. Dans son ouvrage Black Reconstruction (1935), Du Bois utilise pour la première fois l’expression « démocratie abolitionniste ». L’idée ? Il ne faut pas se contenter d’une égalité superficielle, mais exiger une remise en question en profondeur des structures racistes. Du Bois s’intéresse tout particulièrement à la « Reconstruction Era », la période qui suit la Guerre de Sécession, à savoir les années 1860-70, dans les États du Sud des États-Unis. Certes, la politique du président de l’époque, Andrew Johnson, a formellement libéré les esclaves ; mais il a en même temps posé les bases d’un nouveau racisme. Selon Du Bois, les travailleurs blancs se sont alors rangés du côté des capitalistes tout aussi blancs pour exploiter le « black labor » (la force de travail des travailleurs noirs). La classe ouvrière s’est divisée, et les ouvriers blancs ont fait la guerre aux ouvriers noirs.
  • Du Bois a montré que la « Reconstruction Era » n’était pas, comme on le prétend souvent, l’une des périodes les plus progressistes des États-Unis. Il a mis en évidence les erreurs commises après l’abolition de l’esclavage, au moment de l’institution d’un nouvel ordre social. Dans ce nouvel ordre, les structures racistes n’ont pas été complètement éliminées. Le philosophe souligne également le lien étroit entre les structures racistes et le capitalisme. Dans les mouvements sociaux qui ont succédé aux luttes pour l’abolition de l’esclavage, il voyait non seulement une « race war » (guerre raciale) mais une lutte enracinée dans des rapports de propriété ou de classe. L’Abolition Democracy ne met donc pas seulement l’accent sur le clivage entre Noirs et Blancs, mais sur des problèmes indissociables du capitalisme.
  • La philosophe et activiste Angela Davis (née en 1944) a repris à son compte cette remise en cause des structures racistes que Du Bois appelait de ses vœux, pour en formuler les conséquences à ses yeux inévitables : pour une véritable Abolition Democracy, il est nécessaire d’abolir les institutions étatiques américaines dans lesquelles le racisme est structurellement ancré. L’institution policière, par exemple, selon Davis, ne met pas la sécurité mais la protection des biens au centre de ses préoccupations, et considère de fait les individus de couleur comme plus dangereux en raison de structures racistes, agissant par conséquent plus durement à leur encontre. De même, les prisons ne servent pas en premier lieu à la protection de la communauté et à la réinsertion des délinquants, mais constituent, d’après Davis, un rouage essentiel de l’économie. Le système juridique américain est également marqué par des structures racistes, comme le montre par exemple la peine de mort, appliquée de manière disproportionnée aux Noirs, en comparaison des autres ethnies.
  • La focalisation d’Angela Davis sur les questions de structures a pour conséquence une affirmation : les problèmes sociaux ne peuvent pas être résolus au niveau individuel, comme le prétendent les représentants du néolibéralisme ; il faut au contraire se concentrer sur les institutions et leur rôle dans un ordre global. Parallèlement, il est nécessaire de développer de nouvelles perspectives, de nouvelles solutions. La prévention des délits, par exemple, ne passe pas par les prisons, mais avant tout par une meilleure éducation et une plus juste égalité des chances.
  • De ce point de vue, une véritable Abolition Democracy mettrait l’accent sur la coopération et la compréhension. Ses représentants, hier comme aujourd’hui, ne souhaitent pas abolir la démocratie ; ils soulignent bien plutôt que les principes démocratiques, à commencer par l’égalité, doivent s’appliquer à tous les individus de manière effective. Et observent que cette démocratie réellement inclusive est entravée, selon eux, par des institutions aux structures racistes.
  • On peut bien entendu s’interroger sur la pertinence, de la part d’un mouvement écologiste, de mobiliser cette notion de démocratie abolitionniste. Les militants ne s’en sont pas expliqués directement, mais on peut imaginer différentes manière de justifier de recourir à cette notion. Sous l’angle d’une certaine écologie décoloniale, la crise climatique engendrée par le développement fossile est indissociable de l’entreprise coloniale entamée par l’Occident, berceau de la révolution industrielle. Or, cette entreprise coloniale porterait en elle une vision du monde intrinsèquement raciste. On peut également considérer que, si la transition écologique doit réussir, si nous devons redevenir capable de vivre en harmonie avec l’environnement, il nous faut rompre avec l’ensemble des formes de discrimination, briser l’ensemble des rapports de domination, abolir l’ensemble des structures hiérarchiques qui induisent l’exploitation de certaines communautés humaines comme, sur un autre plan, des ressources inorganiques. Ainsi comprise, la transition écologique n’est pas seulement une question économique ; elle implique beaucoup plus profondément une métamorphose politique, et en particulier un dépassement du schème hiérarchique surdéterminant la politique. On peut enfin voir, dans la référence à l’Abolition Democracy, la réappropriation d’une méthode plus que d’un contenu : de même que faire face au racisme suppose, au-delà de la question des droits formels, de rompre avec un racisme qui serait systémique et enraciné dans les institutions sociales ainsi que dans les mentalités, répondre à la crise climatique ne peut se faire par des accommodements cosmétiques et ponctuels, mais implique beaucoup plus radicalement de transformer la trame sociale de notre rapport au monde.
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