Alain Policar : “Le décolonialisme a renoncé au dialogue avec les oppresseurs”
Nous assistons à une racialisation du monde, observe Alain Policar dans son dernier livre L’Inquiétante Familiarité de la race (Le Bord de l’eau) : on pensait que le temps du concept de race était révolu. La race fait pourtant son grand retour et s’affirme comme un outil de catégorisation du monde qui conteste toute forme d’universalisme. L’universalisme n’est pas sans tort dans la domination coloniale de l’Europe sur le monde, mais, plutôt que d’y renoncer, il faudrait surtout le repenser, selon le politologue.
Peut-on combattre le racisme sans recourir, d’une manière ou d’une autre, à la notion de race ?
Alain Policar : Il existe aujourd’hui un consensus autour de l’inexistence biologique des races dans l’espèce humaine. Mais cela doit pas faire oublier que la race reste une catégorie sociale « d’exclusion et de meurtre », selon l’expression de la sociologue Colette Guillaumin. Autrement dit, il existe des violences fondées sur la construction de différences « raciales ». J’adhère sans réserve à cette approche. Pour combattre efficacement le racisme, il faut reconnaître la difficulté : bien que socialement construite, la domination de « race » n’en demeure pas moins réelle. Une domination qui s’exerce au travers de la naturalisation de la différence observable entre les individus : les individus sont enfermés dans des appartenances dont ils ne peuvent s’émanciper. L’étiquette raciale produit des effets sociaux et psychologiques qui influencent fortement le destin individuel. En ce sens, en dépit de son « inexistence », la « race » peut-être un outil critique pertinent. On doit tenir compte de l’expérience vécue de ceux qu’on appelle pour cette raison les sujets « racialisés ». C’est ce que ne permettait pas de reconnaître l’universalisme classique qui se voulait aveugle aux différences, celui du modèle républicain à la française.
“Le problème, c’est que la différence des groupes opprimés n’est pas vécue comme une construction historique mais un donné, une essence”
Cet usage critique de la notion de race ne vous empêche pas, par ailleurs, de parler d’une nouvelle « racialisation du monde ». Que voulez-vous dire ?
Par « racialisation » du monde, j’entends le retour de la race comme outil de classification, et non plus seulement comme outil critique. On l’observe par exemple en médecine, surtout aux États-Unis. Je ne mets pas en cause les intentions : si certaines maladies sont racialisées (diabète type 2, drépanocytose, cancer et même schizophrénie), c’est afin de mieux les soigner. Cependant, cet objectif vertueux se heurte à des limites objectives qui tiennent à l’inextricable imbrication du génétique et du social. Mais on observe aussi le retour du discours racialiste dans les mouvements antiracistes et décoloniaux aujourd’hui. Il y a là, je crois, une forme de refus, de la part des personnes qui subissent le racisme, que leur identité se résume à une catégorie « négative », artificielle, construite par l’oppresseur, et une volonté de redonner à cette identité un contenu « positif », naturel, substantiel. Le problème, c’est que la différence des groupes opprimés n’est pas vécue là comme une construction historique mais un donné, une essence. On rétablit ainsi une différence irréductible entre les groupes. De leur point de vue, vouloir déconstruire cette différence, ce serait reconduire le discours universaliste des dominants. Cela pose évidemment d’insolubles problèmes, ne serait-ce que de délimitation car tous les groupes ont des limites floues, et il y a autant de diversité à l’intérieur d’un groupe qu’entre la moyenne de deux groupes. Les groupes, les identités sont toujours hétérogènes.
La lecture de Frantz Fanon a bouleversé Norman Ajari dans sa pensée comme dans sa vie. Car l’auteur des Damnés de la Terre rappelle combien la…
Alors que la vague d’indignation provoquée par la mort de George Floyd aux États-Unis crée un débat sans précédent sur la persistance du racisme,…
Pour le philosophe Norman Ajari, spécialiste de Frantz Fanon, le racisme aux États-Unis est plus qu’une question de justice sociale. Il relève d…
Profondément marqué par Frantz Fanon dans sa jeunesse, Norman Ajari se revendique de la pensée décoloniale et veut refaire de l’identité noire un…
Quand la science et le spectacle s’allient pour donner naissance au racisme. L’incroyable destin de Saartjie Baartman, Sud-Africaine exhibée en Europe au XIXe siècle pour son postérieur monumental, a été mis en scène par Abdellatif…
Les sociétés occidentales ont-elles prospéré depuis la Modernité en s’appuyant sur un « racisme structurel », comme le soutient « …
Troisième épisode de notre série consacrée au mouvement « décolonial ». Après ses origines latino-américaines et ses débats internes,…
L’extrait de Frantz Fanon « Dussé-je encourir le ressentiment de mes frères de couleur, je dirai que le Noir n’est pas un homme. Il y a une zone de non-être, une région extraordinairement stérile et aride, une rampe essentiellement dépouillée…