Plongée dans l’univers du ménage à domicile, entre intimité et exploitation

Tout doit rester invisible dans l’univers confidentiel du ménage à domicile. À commencer par le recrutement, qui fonctionne encore beaucoup par le bouche-à-oreille à l’ère du tout-connecté. Recommandations entre voisins, bruits de quartiers : voilà comment Ajay Seesaram, Neila Moore et Batouly Sane Dia, « connue dans tout le cinquième arrondissement de Paris », trois employés de maison qui ont accepté de nous rencontrer, ont trouvé leurs employeurs.

Neila Moore, qui travaille à Lyon, se rappelle de ses premiers ménages chez des inconnus devenus au fil du temps des clients fidèles : « Tout a commencé en 2013 alors que j’étais en congé parental. J’avais besoin de sous pour arrondir mes fins de mois, quelqu’un m’a pris, puis m’a constitué tout un planning de ménages en seulement six mois. Chez sa famille, ses amis, ses voisins… »

Un monde invisible

Pour ce qui est du nettoyage en lui-même, la discrétion est là encore de rigueur. Même les entreprises qui ont voulu institutionnaliser le métier ces dernières années, comme Shiva, l’un des leaders du secteur, reprennent volontiers ces codes. Leurs publicités mettent en scène des clients heureux de rentrer dans leurs intérieurs immaculés après une dure journée, plutôt qu’une main-d’oeuvre en action ; leurs catalogues de « talents » sont loin d’être ouverts à tous, comme un secret bien gardé entre gens de confiance. Le ménage à domicile est une profession de l’ordre de l’intime et du microscopique, où l’effort, à la fois ressenti mais invisible, ne doit surtout pas perturber la sérénité théâtrale d’une micro-société toujours propre.

Pour nettoyer les maisons des autres, mieux vaut se lever tôt. À Lyon, Neila commence ses journées à 5h du matin pour les terminer aux alentours de 20h30. « Parfois, je culpabilise parce que j’ai l’impression de mieux m’occuper de mes clients que de ma propre mère et de mes enfants. Quand je rentre le soir, ils ont déjà mangé, et moi, je me suis occupée des gosses des autres toute la journées », soupire-t-elle.

C’est que ses journées s’organisent toujours en fonction de ces « autres », ses clients. Elle qui travaille au coeur de leur intimité doit, paradoxalement, demeurer invisible à leurs yeux. Jusqu’à 7h, il faut donc se dépêcher de nettoyer le cabinet médical qui l’emploie avant l’arrivée des médecins et des patients. Puis s’enchaînent les missions chez les particuliers une fois que ceux-ci sont partis au travail. « Le télétravail nous a ruinés : les gens ne veulent surtout pas qu’on soit chez eux lorsqu’ils sont là », soupire-t-elle.

Pour compenser, Neila s’affaire tous les soirs dans l’école de ses enfants, où elle nettoie les salles de classe de 17h à 20h30… alors que les cours sont terminés. Une tâche répétitive qui consiste à astiquer en solitaire des dizaines de bureaux d’écoliers dont les identités resteront fantomatiques : « Mes enfants ont peur que leurs camarades découvrent que je suis la femme de ménage, ils ont honte. Il faut dire que je suis toujours habillée façon T-shirt délavé par la javel et jogging dégueulasse, c’est pas très glamour. »