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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Un Ennemi du peuple de Henrik Ibsen © Jean-Louis Fernandez

Théâtre

Ibsen, Sivadier. La démocratie en en eaux troubles

Cédric Enjalbert publié le 15 mai 2019 4 min
Les dérives démocratiques dépeintes par Henrik Ibsen en 1883 dans “Un ennemi du peuple” n’ont rien perdu de leur actualité. Le metteur en scène Jean-François Sivadier en présente une adaptation vigoureuse au Théâtre de l’Odéon puis en tournée en France.

« Ce n’est pas parce qu’une chose est difficile que nous n’osons pas, mais parce que nous n’osons pas qu’elle est difficile ». Sous ce jour philosophique, Jean-François Sivadier monte Un ennemi du peuple à l’Odéon - Théâtre de l'Europe, comme un déluge dont il ne reste qu’une scène dévastée sous des trombes d’eau. 

Du texte d’Ibsen, il tire un spectacle inquiétant, en forme de noyade comique, tenu par une distribution solide dans la représentation de nos grandeurs et de nos misères : où s’arrête la modération et où commence la compromission, où la conviction et où l’orgueil ? 

 

« Tyrannie de la démocratie »

Nicolas Bouchaud interprète Tomas Stockmann, un médecin de province, dans une station thermale. Avec son frère, le préfet Peter Stockmann (Vincent Guédon), il a fondé un établissement de bains. La ville tire sa richesse et sa prospérité de ses eaux… que le docteur découvre insalubres. 

Il lance l’alerte, assuré du soutien de ses concitoyens et que la vérité l’emportera sur toute autre considération. Mais rien ne tourne comme prévu. Le scandale est étouffé par les élus – notamment, son frère – comme par la presse locale, Le Messager du peuple. Personne n’a intérêt à ce que les bains ferment.

Aucun ne réchappe à la méchanceté d’Ibsen, à sa traque des « trolls de l’âme », à cette lucidité décapante qui débusque les bassesses : où l’on préfère ignorer la pollution plutôt que réviser notre confort, où l’on rejoint la majorité plutôt que de risquer d’être isolé, où l’on maquille la lâcheté en tempérance. Chez lui, le mensonge paraît un accommodement raisonnable et la recherche de la vérité une passion mortifère. Le peuple, une idée informe mais pas impuissante. 

Tocqueville met déjà en garde contre le tyrannie de la démocratie. De retour des États-Unis, le philosophe montre dans De la démocratie en Amérique comment, à partir du moment où la majorité « s’est irrévocablement prononcée, chacun se tait, et amis comme ennemis semblent alors s’attacher de concert à son char. » Or cette majorité désigne l’homme libre jusqu’à l’exclure, quand bien même son combat serait juste et ses idées vraies. « Le maître n’y dit plus : vous penserez comme moi, ou vous mourrez ; il dit : vous êtes libre de ne point penser ainsi que moi ; votre vie, vos biens, tout vous reste ; mais de ce jour vous êtes un étranger parmi nous ». 

Cette « masse compacte », le docteur Stockmann la fustige et se retrouve isolé. Ibsen se demande : une individualité sans individualisme est-elle possible ? Difficile d'y croire, face à la petite bourgeoisie tranquille qu'il dépeint, plus soucieuse de ses intérêts que du bien commun. Tout prend l’eau chez Ibsen, les principes et le décor, dans cette mise en scène spectaculaire. Des bombes à eau s’abattent finalement sur le plateau comme des pavés jeté dans une mare glauque. Les personnages pataugent. 


Un Ennemi du peuple de Henrik Ibsen © Jean-Louis Fernandez

La vérité jusqu’à la bêtise

Le metteur en scène n’en tire pas un drame, mais une comédie tragique, à laquelle rien ne résiste. En deux heures trente, tout sombre, jusqu’à la quête de la vérité elle-même, qui passe pour de l’orgueil. Le personnage de Tomas Stockmann est taillé dans la raide étoffe des martyrs, préférant, comme il le dit, la destruction de sa ville à une prospérité fondée sur le mensonge. 

Comme le note Cynthia Fleury dans Les Pathologies de la démocratie (Fayard, 2005), « la maturité du citoyen et de l’homme politique se mesure au fait qu’il sait dissocier l’ordre du politique de celui de la vérité et de la justice. Les citoyens, comme les hommes politiques, doivent cesser d’être les dupes d’une dialectique imaginaire entre vérité, politique et justice. »

Pour la philosophe, « les citoyens et les hommes politiques doivent se garder de vouloir démasquer la “vérité”. Ceux qui se présentent comme tels ne doivent d’ailleurs nullement nous abuser. » De ce point de vue, Tomas Stockmann n’a donc aucun sens politique, il en est dénué jusqu’à la bêtise. 

Lors d’une réunion publique qui tourne court, il s’adresse directement au public, cherchant à convaincre du bien-fondé de sa cause – la lutte contre la pollution plutôt que la recherche du profit, le bien de la société plutôt que l’intérêt égoïste. Mais bientôt sa harangue devient une vitupération solitaire, quasi paranoïaque. L’exhortation se métamorphose en procès du théâtre lui-même : comment prendre à parti un public sage sans verser dans les adresses éculées du théâtre participatif ? Qui convaincre, et de quoi ?

La salle est alors invité à voter avec ses pieds : que ceux qui soutiennent le docteur dans son combat sortent de la salle. Personne évidemment. Ne croyons-nous pas à son combat ? Devrions-nous quitter notre rôle de spectateur ? En rire ?

À l’issue du spectacle, ni jugement ni conclusion, heureusement rien que des questions et cette conviction assénée comme un aphorisme sybillin : « l’homme le plus fort du monde, c’est l’homme le plus seul ».

Informations

Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen
Traduction : Eloi Recoing
Mise en scène de Jean-François Sivadier
Avec : Sharif Andoura, Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Cyprien Colombo, Vincent Guédon, Jeanne Lepers, Agnès Sourdillon
Collaboration artistique : Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit
Scénographie : Christian Tirole, Jean-François Sivadier
Lumière : Philippe Berthomé
Costumes : Virginie Gervaise
Son : Eve-Anne Joalland

Durée : 2h35

À l’Odéon – Théâtre de l’Europe du 10 mai au 15 juin 2019

Tournée :
- 8 au 12 octobre 2019 / Lille - Théâtre du Nord
- 16 au 20 octobre 2019 / Chatenay-Malabry - Théâtre Firmin Gémier / La Piscine
- 5 au 10 novembre 2019 / Lyon - Les Célestins
- 14, 15 novembre 2019 / Dunkerque - Le Bateau Feu
- 19 au 21 novembre 2019 / Théâtre de Caen
- 26 au 28 novembre 2019 / Clermont-Ferrand - La Comédie
- 4, 5 décembre 2019 / Perpignan - L’Archipel
- 10 au 20 décembre 2019 / Théâtre National de Strasbourg
- 7 au 9 janvier 2020 / Angers - Le Quai
- 15, 16 janvier 2020 Grand Théâtre de la ville du Luxembourg
- 22 au 25 janvier / Marseille - La Criée
- 30, 31 janvier, 1er février / Saint-Quentin-en-Yvelines, scène nationale 

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