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Nicolas Bouchaud dans “La Vie de Galilée” mise en scène par Jean-François Sivadier © Dominique Brillault

“La Vie de Galilée” ou “la douce violence de la raison sur les hommes”

Cédric Enjalbert publié le 09 juin 2015 4 min
En montant à nouveau “La Vie de Galilée”, Jean-François Sivadier ravive avec ferveur et joie la réflexion de Brecht sur les pouvoirs et les limites de la raison. Une lueur dans la nuit de l’obscurantisme, portée par Nicolas Bouchaud dans le rôle-titre. À voir jusqu’au 21 juin 2015 au théâtre Le Monfort.

La séduction de la raison contre la puissance de l’obscurantisme, le progrès contre la réaction : La Vie de Galilée repose sur une suite d’oppositions, de renversement et de révolutions. De cette vie qui a bouleversé celle du monde, Bertolt Brecht (1898-1956) a fait une ample réflexion sur les inquiétudes de la modernité, sur la responsabilité et sur la liberté de l’intellectuel lorsque le monde est pris dans la tempête.

Écrite entre 1938, après que le dramaturge a fui le nazisme en Allemagne, et 1956, aux débuts de la guerre froide, la pièce renvoie sur fond d’actualité mouvementée à un « autoportrait de l’auteur se taillant dans Galilée un costume sur mesure, pour dire “sa vie dans l’art” et l’ambiguïté de son rapport avec l’autorité », selon Jean-François Sivadier, qui signe la mise en scène.

D’ambiguïtés, La Vie de Galilée est pleine. Car si le savant soutient la vision révolutionnaire de Copernic, selon laquelle la Terre n’est pas le centre du monde, fort des preuves qu’il recueille grâce à l’invention de la lunette astronomique, dont il « emprunte » le principe à un tiers, il abjure finalement ses découvertes, sous les menaces de l’Inquisition. Cette figure passée à la postérité n’a rien de purement héroïque. Il reste qu’après son geste décisif les germes d’une révolution sans précédant sont nichés dans les têtes. «  Aujourd’hui 10 janvier 1610, l’humanité inscrit dans son journal : ciel aboli », note-t-il. Ce renversement cosmique entraine un bouleversement anthropologique : plus de Ciel, plus de Dieu, plus de repères. Galilée « fait vaciller le théâtre de l’Église et donne le vertige à ses acteurs » poursuit Jean-François Sivadier.


Changement de paradigme

Ce sentiment de vertige parvient jusqu’aux spectateurs au fur et à mesure que le spectacle progresse, tant la dialectique imaginée par Brecht gagne en nuances et en subtilité. Sur scène, le vaste tréteau initial, légèrement incliné, évoque d’abord une rampe pointée vers le ciel, puis un ring où s’affrontent théologiens et savants, enfin un radeau de fortune voguant vers un nouveau monde, qui progressivement se fragmente comme un continent à la dérive. Un monde éclaté, voilà tout ce qu’il reste à ce « chœur de femmes et d'hommes séduits et terrifiés par l'irrésistible visage de la raison qui les appelle à abandonner leurs repères » lorsque la vie de Galilée s’achève. La révolution héliocentrique laisse chaque personnage désemparé. Un « changement de paradigme » bouleverse la vision de l’univers entraînant dans sa chute celle de l’homme.

« Révolution de paradigme », l’expression revient à l’Américain Thomas Kuhn, auteur d’un essai classique de la philosophie des sciences dans lequel il analyse et décrypte La Structure des révolution scientifiques. Pour le philosophe, un paradigme « est un cadre qui définit les problèmes et les méthodes légitimes, et qui permet ainsi une plus grande efficacité de la recherche : un langage commun favorise la diffusion des travaux et canalise les investigations. » L’adhésion à un paradigme implique la constitution d’une communauté de pensée, et d’un ensemble des croyances, partagées par les membres d'une communauté scientifique. Le géocentrisme de Ptolémée était un paradigme. S’y est opposé l’héliocentrisme de Copernic, confirmé par des preuves observées à travers la lunette de Galilée. « Le passage d’un paradigme en état de crise à un nouveau paradigme d’où puisse naître une nouvelle tradition de science normale est loin d’être un processus cumulatif, réalisable à partir de variante ou d’extensions de l’ancien paradigme », ajoute Thomas Kuhn.


Tempête politique, scientifique et religieuse

La Vie de Galilée en fait à nouveau la preuve. Comme le montrait également récemment le remarquable Henri VI de Shakespeare monté par Thomas Jolly, la Renaissance à laquelle Galilée appartient n’est pas qu’une période très excitante de grandes découvertes. Elle renvoie aussi à un temps de bouleversements terriblement angoissants et violents, durant lesquels il est difficile de tenir la barre dans la tempête politique, scientifique et religieuse. Ce monde nouveau, où tout va beaucoup plus vite, enfante des monstres politiques, laisse le champ libre à une large frange de chaos. Cette incertitude menaçante agite Galilée, ballotté par ses exigences et par ses peurs, et tout près de renoncer à ses convictions, interprété en toute-puissance par Nicolas Bouchaud. Il reprend cette partition exténuante près de treize ans après sa création. Pourquoi une telle reprise ?

En reprenant le spectacle phare de sa compagnie, conçu au Théâtre national de Bretagne en 2002, Jean-François Sivadier ferait-il le pari d’une forme d’analogie des troubles de la Renaissance avec notre époque ? Serions à nouveau à un pivot de l’histoire de l'humanité, à l’orée d’un tel changement de paradigme, sans que nous sachions encore exactement quel nouveau paradigme substituer à l’ancien ? Une certitude : depuis janvier, les interrogations liées à la liberté et à la responsabilité de l’artiste dans son rapport au politique, que Brecht aborde en filigrane dans sa pièce, de la libre-pensée face à l’obscurantisme religieux, qui est au cœur de la pièce, ont pris un tour particulièrement sensible, si bien que les questions soulevées par cette vie tourmentée résonnent avec une terrible justesse. Et une question demeure: peut-on croire encore, comme l’écrivait Brecht pour Galilée, « en la douce violence de la raison sur les hommes  » ?

Informations
La Vie de Galilée,
de Bertolt Brecht
Traduction d’Eloi Recoing
 
Mise en scène de Jean-François Sivadier avec la collaboration artistique de Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit et Nadia Vonderheyden
Avec: Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Éric Guérin, Éric Louis Christophe Ratandra Lucie Valon, Rachid Zanouda, Nadia Vonderheyden
 
Décor de Christian Tirole et Jean-François Sivadier
Costumes de Virginie Gervaise
Lumière de Philipe Berthomet
 
Théâtre Le Monfort
106 rue Brancion – 75015 Paris
Réservations 01 56 08 33 88
Du 27 mai au 21 juin, du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h
Durée 3h20, entracte compris

 

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