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Théâtre

“Mort à Venise”, de Thomas Ostermeier: la clarté du trouble

Cédric Enjalbert publié le 18 janvier 2014 4 min
Le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier reprend à Paris deux succès: “Un ennemi du peuple”, d'Ibsen, et “Mort à Venise”, d'après Thomas Mann. Avec ces deux pièces présentées au Théâtre de la Ville jusqu'au 2 février 2014, il réaffirme sa foi dans la “force régénérante” du théâtre, capable d'exprimer une “vérité valable pour tous”.

« Le théâtre, écrit Thomas Ostermeier, ce pourrait être cela : un sanctuaire habité par une force régénérante, quand les industries dédiées au récit du monde sont en proie à une exigence de rentabilité proportionnelle à leur manque de liberté – il suffit d’allumer la télévision pour s’en convaincre. » Le directeur de la Schaubühne de Berlin, figure phare de la scène théâtrale européenne, poursuit : « Dans notre existence surnumérisée, où le réel est tenu en respect par un écran à deux dimensions, la mission et le défi du théâtre se résument à ce moment rare où une action virtuelle convoque toute la réalité du monde. »

Ce vœu, Thomas Ostermeier en a fait son sacerdoce et son parti. Intime de Shakespeare et d’Ibsen, qu’il dégage de la gangue psychoanalytique qui l’enferme, il est l’un des grands interprètes du monde contemporain. Ses lectures affranchies réhabilitent la valeur des récits et la possibilité de compréhension du monde, sans déférence pour la tradition ni révérence pour « l’avant-garde ».

Le metteur en scène présente actuellement deux spectacles au Théâtre de la Ville : la reprise d’un succès, Un ennemi du peuple – une pièce d’Ibsen « contre la démocratie dans laquelle on vit » –, et une variation onirique sur Mort à Venise, d’après l’écrivain allemand Thomas Mann.

Ce court spectacle quasi muet, fondé sur la persistance d’images puissantes, émaillé de rares lieds de Mahler et parcouru par une voix narrative, lisant par extraits le récit de Thomas Mann, tranche avec l’univers habituel de Thomas Ostermeier – sans flottement, en prise immédiate avec les aspérités du réel, prolixe et virulant.


Le ressort du désir

Avec Mort à Venise, le metteur en scène allemand sonde l’intime, ravivant « des interrogations très profondes sur l'art et la mort, des connexions entre l'érotisme et la création. La beauté et la jeunesse, qui sont sources d'inspiration, le tabou et le désir, les abîmes qu'ils entraînent, et qui mènent à la création ».

Ces questions, Schopenhauer puis Freud, dont Thomas Mann s’inspire, se les posent, explorant dans leurs écrits respectifs, de La Métaphysique de l’amour jusqu’aux essais sur la sexualité, « l’intime parenté qui existe entre la vie et le rêve ». Tous exposent « l’importance incomparable de la vie sexuelle ». Schopenhauer anticipe ainsi, « au-delà du principe de plaisir », la notion de « pulsion de mort », qui donne une orientation à l’existence, partagée entre le « vouloir-vivre » et le « vouloir-mourir ». Ces pulsions dont l’artiste se fait le meilleur explorateur, qui l’animent jusque dans la sublimation d’une création, Thomas Ostermeier s’en empare après eux. Il manifeste avec délicatesse l’ardeur du désir.

Il compose un tableau constitué de surimpositions d’images rêvées et de motifs projetés. Dans la survivance de la mémoire se dessinent des pulsions incarnées, un abîme de théâtre où se joue une vérité. Que reste-t-il de ces images ? Un acteur au visage ténébreux, tendu par l’inquiétude : celui de Josef Bierbichler, alias Gustav von Aschenbach – un compositeur en villégiature à Venise, librement inspiré de Mahler, dans le roman. La musique concrète d’un piano démonté, aux échos dissonants, heurte la douceur des images et rompt la langueur du temps. De longs rideaux volants barrent le passage vers un au-delà de la scène, et de la pensée, d’où surgit le jeune Tadzio, éphèbe au corps dansant, dont s’éprend Aschenbach.

Dans un ultime tableau, le jeune homme virevolte avec les Érinyes. Trois danseuses incarnent cette pulsion de mort. Dans leur agitation voluptueuse, ces succubes déchainées sous une pluie de cendre, rappellent que la « pulsion de mort », en dépit de ses manifestations, n’est pas un principe démoniaque, mais le ressort du désir dans son lien avec l’érotique et la création.


Une vérité valable pour tous

Thomas Ostermeier réunifie ainsi notre « expérience fragmentée du monde », brossant un tableau cohérent du désir, dans sa clarté et son trouble. En donnant chair à ce désordre ordonné de l’esprit, le maître allemand fait la démonstration qu’il est possible et juste de lutter contre l’idée portée par toute une « avant-garde affadie » « que l’action dramatique n’est plus de notre époque ; que l’homme ne saurait se comprendre comme maître de ses actions ; qu’il y a autant de vérités subjectives que de spectateurs présents ; que les événements représentés sur scène n’expriment aucune vérité valable pour tous ; que notre expérience fragmentée du monde ne trouve sa traduction que dans un théâtre lui-même morcelé, où les genres se juxtaposent : corps, danse, photos, vidéos, musique, parole… Ce télescopage sensoriel affirme au spectateur que ce monde chaotique lui restera pour toujours indéchiffrable, et qu’il n’y a donc pas lieu d’y chercher des liens de causalité ou des coupables. »

Contre ce télescopage, Thomas Ostermeier affirme avec vigueur la possibilité d’exprimer une vérité valable pour tous et de donner du sens à ce monde chaotique.
 

Informations
Mort à Venise
d’après Thomas Mann/Gustav Mahler
Mise en scène de Thomas Ostermeier
Adaptation de Maja Zade & Thomas Ostermeier
Avec: Josef Bierbichler, Leon Klose/ Maximilian Ostermann, Martina Borroni, Marcela Giesche, Rosabel Huguet, Sabine Hollweck, Felix Römer, Mikel Aristegui
et Bernardo Arias Porras (guitare), Timo Kreuser (piano), Kay Bartholomäus Schulze (narrateur)
Chorégraphie: Mikel Aristegui
Composition: Timo Kreuser
Scénographie: Jan Pappelbaum
Costumes: Bernd Skodzig
Vidéo: Benjamin Krieg
Dramaturgie: Maja Zade
Lumières: Erich Schneider
Son: Daniel Plewe et Wilm Thoben
 
Un ennemi du peuple
de Henrik Ibsen
Adaptation et dramaturgie de Florian Borchmeyer
Mise en scène de Thomas Ostermeier
Avec: Thomas Bading, Christoph Gawenda, Moritz Gottwald, Ingo Hülsmann, Eva Meckbach, David Ruland, Stefan Stern
Scénographie: Jan Pappelbaum
Costumes: Nina Wetzel
Musique: Malte Beckenbach, Daniel Freitag
Lumières: Erich Schneider
Dessins muraux: Katharina Ziemke
 
Théâtre de la Ville
2, place du Châtelet - 75004 Paris
www.theatredelaville-paris.com 
Réservation: 01.42.74.22.77

 

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