Benjamin Bratton : “Une certaine critique biopolitique s’est montrée incapable d’interpréter la pandémie”
En juillet dernier, Benjamin Bratton, chercheur américain dont les travaux se situent entre la philosophie, la sociologie et l’urbanisme, publiait « Agamben WTF ou comment la philosophie a manqué l’épidémie ». Il y critiquait les prises de position du penseur italien Giorgio Agamben, qu’il assimilait à du « complotisme ». Nous lui avons proposé de s’expliquer plus largement sur la façon dont les philosophes avaient commenté la crise sanitaire.
Vous avez critiqué de manière virulente les prises de position de Giorgio Agamben sur la pandémie de Covid-19. Pensez-vous qu’elles reflètent la façon dont une partie de la philosophie politique s’est montré déconnectée du réel face à cet événement ?
Benjamin Bratton : Dans mon livre, je m’intéresse particulièrement aux réponses d’Agamben à la pandémie car j’y vois quelque chose de plus profond que les divagations d’un penseur âgé : la façon dont une certaine pensée critique de la biopolitique s’est tellement enracinée dans une approche constructiviste du social qu’elle se trouve tout à fait incapable d’interpréter la pandémie autrement qu’au travers d’une liste relativement courte de dénonciations stéréotypées d’un quadrillage et d’un autoritarisme. Cela sonne peut-être de façon élégante dans une salle de conférence, mais le monde réel était et demeure fondamentalement indifférent à ce genre de mise en récit de son fonctionnement. Le problème plus global que j’y vois, c’est que, à l’image du changement climatique, la révolution génétique des années 1950 et 1960 et les révolutions biotechnologiques des années 1990 et du début du XXIe siècle ont des implications philosophiques fondamentales sur ce que signifie être un humain, être une espèce intelligente capable de façonner le vivant. Et qu’à bien des égards, la philosophie continentale, face à elles, s’est endormie au volant.
“Au sein de la philosophie européenne contemporaine, il existe une tendance à présumer que le passé de l’Europe est l’avenir du monde entier”
Cette déconnection du réel constitue-t-elle, selon vous, un héritage de la “théorie critique” ou des théories, notamment françaises, de la déconstruction ?
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