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Dossier spécial “Déconstruction” (2/5)

Le “wokisme” est-il un humanisme ? Débat entre Norman Ajari et Pierre Valentin

Norman Ajari, Pierre Valentin, propos recueillis par Charles Perragin publié le 23 février 2022 12 min

La « déconstruction » est une notion philosophique qui fait l’objet de vifs débats, à la fois dans le monde universitaire et militant, ses défenseurs étant accusés d’être des adeptes de la cancel culture et du courant « woke », une forme nouvelle d’intolérance au nom de valeurs progressistes. Pour Pierre Valentin, l’idéologie « woke » fragmente la société en « tribus » et représente l’un des plus grands dangers de notre époque. Pour Norman Ajari, la communauté nationale est une fiction qui occulte d’autres narrations communes. Nous avons proposé aux deux hommes de débattre de ces sujets, dans le cadre du dossier spécial que nous consacrons au concept de « déconstruction ». Voici leur échange.

 

Pierre Valentin : Le « wokisme » est une idéologie qu’on ne peut pas comprendre sans s’intéresser à l’histoire de la philosophie. Pierre-Henri Tavoillot [co-organisateur du colloque] trace une filiation entre la déconstruction de la nature et du divin à l’âge moderne avec Descartes, les penseurs du soupçon comme Nietzsche, puis la French Theory avec Foucault, Derrida ou Deleuze. Pour ma part, je me concentre sur la récupération, par le « wokisme », du postmodernisme. Tout d’abord, on note un scepticisme radical vis-à-vis de tout savoir objectif. Le savoir dit scientifique cacherait en réalité une volonté de domination sur l’Autre, la figure de la minorité sous toutes ses formes. On retrouve ici l’influence de Michel Foucault : « Pouvoir et savoir s’impliquent directement l’un l’autre », écrit-il dans Surveiller et Punir (1975). Tout est domination ou posture, y compris le langage verbal qui construit plus ou moins entièrement notre perception du réel. Ce thème apparaît sous la plume de Heidegger mais aussi de Derrida. Tout discours est toujours une posture par rapport à la réalité objective et parle bien plus de celui qui le prononce que du monde lui-même. Plus généralement, c’est le fait même de discriminer, de distinguer qui est suspect. Toute distinction, séparation ou classification est toujours le symptôme d’une volonté de dominer ou de rejeter. Il faut donc déconstruire les distinctions et les flouter. Il faut être inclusif. Les définitions sont des cadres qui excluent par essence. Cela va se retrouver par exemple dans une sorte de pseudo-relativisme culturel. Toutes les cultures se vaudraient, mais à l’heure de la pensée décoloniale, on comprend que c’est l’Occident qui est bien pire que les autres. Enfin, c’est l’universel lui-même qui est évincé. Il est une fiction issue des Lumières ou un masque de la domination blanche perçu par les penseurs « woke » (pensons à Ibram X. Kendi) comme plus sournois et dangereux que l’ethno-racialisme d’extrême droite parce qu’au moins, ces derniers jouent franc-jeu. Bref, le monde universitaire a joyeusement glissé du postmodernisme au « wokisme », avec les mêmes références philosophiques, sans que cela ne pose de problème…

“La théorie critique de la race considère que l’Occident est essentiellement mauvais” Pierre Valentin

 

Norman Ajari : Cette généalogie a un certain sens mais vous interprétez la pensée « woke » en général (et décoloniale en particulier) avec des références uniquement européennes. Or, la philosophie continentale ne permet pas d’éclairer, par exemple, la pensée africaine-américaine, qui a une généalogie et une histoire absente des conversations. Prenez la philosophie politique qui commence avec la révolution haïtienne et va influencer les esclaves du Sud américain, le nationalisme noir, des gens comme Martin Delany, Marcus Garvey ou W. E. B. Du Bois. Toute cette histoire est absente des débats universitaires. On fait comme si les Africains Américains (sic) s’étaient réveillés dans les années 1970 en lisant les traductions de Foucault, Derrida ou Deleuze. Ce n’est pas vrai ! On a l’impression qu’il y aurait un fantasme des questions raciales qui, à travers le postmodernisme, aurait poussé les minorités à revendiquer leur droit à la différence. Non, il y a une histoire politique et intellectuelle interne aux Amériques noires, une histoire d’une population esclave qui a élaboré ses concepts, ses théories, d’abord sur la base d’une théologie protestante puis qui s’est nourrie des influences européennes et africaines. C’est ce que Cedric Robinson appelle la tradition raciale noire. Elle s’est toujours pensée à partir de ses conditions sociales : celle de l’esclavage, de l’échec de la Reconstruction, de la ségrégation, de l’incarcération de masse aujourd’hui, d’une situation où, par exemple, les Africains Américains représentent à peu près 13% de la population et environ 2% des richesses. Dans ce contexte, nous avons un modèle libéral qui fonde la société sur la liberté et une égalité juridique aveugle aux différences. Très bien. Sauf que dans les faits, cela ne fonctionne pas. Les inégalités perdurent : les populations noires s’appauvrissent, les clichés racistes survivent. À partir de là, nous disons que nous devrions peut-être nous tourner vers d’autres modèles théoriques comme la théorie critique de la race. Que dit cette théorie ? La race comme construction sociale (et non comme pseudo-réalité biologique) est un concept d’analyse pertinent pour décrire et combattre les injustices.

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