Guillaume Barrera : “Vouloir fuir le chaos en ouvrant les vannes du plus grand des chaos, c’est absurde”
Le 21 avril, une lettre rédigée par un ancien officier de l’Armée de Terre, Jean-Pierre Fabre-Bernadac, et signée par de nombreux officiers à le retraite (26 254 d’après le site de l’auteur) est relayée par le magazine Valeurs Actuelles. Elle dénonce en des termes emphatiques le « chaos croissant » du pays et voit poindre une « guerre raciale » et même la « guerre civile » si rien n’est fait pour l’empêcher. Le 11 mai, cette notion de guerre civile est mobilisée à nouveau, cette fois-ci par des officiers d’active, dans une nouvelle tribune également relayée par Valeurs Actuelles. Nous avons demandé au philosophe et essayiste Guillaume Barrera, auteur de La Guerre civile. Histoire, philosophie, politique (Gallimard, 2021) de nous décrypter la signification profonde de cette notion – et de quelle manière celle-ci est aujourd’hui employée par les militaires.
Les militaires qui ont signé les deux récents textes annoncent le risque d’une guerre civile. Quitte à poser une question naïve, qu’est-ce qu’une guerre civile ?
Guillaume Barrera : Ce n’est pas une question naïve, parce qu’elle s’est posée à toutes les époques et que l’histoire a rattaché au conflit intestin différentes définitions ; il est donc intéressant de se demander à quel sens les auteurs de ces lettres pensent. Dans mon livre, je commence par la définition la plus simple : la guerre civile est la guerre que se font entre eux les citoyens. Sans doute peut-on aussi considérer que la guerre civile est une guerre que l’État mène contre une partie de la population – je pense que c’est d’ailleurs ce qui est à l’arrière-plan des deux tribunes publiées dans Valeurs Actuelles. Mais je ne pense pas que ce soit la meilleure définition ; il est plus juste de dire qu’il y a guerre civile à partir du moment où des concitoyens entrent dans des relations de violence ouverte, se déchirent, s’entretuent – sans que cela implique forcément l’armée ou l’État. La pensée grecque, sous le terme de stasis, ne pensait par exemple pas la guerre civile sur le modèle de la répression par la machine militaire, mais comme la scission grave et inquiétante de la cité en plusieurs groupes. Et à mon avis, c’est surtout sous ce point de vue qu’il faut examiner notre époque.
“À mon avis, il faut surtout entendre la ‘guerre civile’ comme une scission grave et inquiétante de la cité en plusieurs groupes”
Que disent les Grecs de la stasis ?
Dans La Politique, Aristote est le premier à analyser systématiquement la stasis – la sédition – et à proposer des solutions pour l’éviter. En tant que fils de médecin, il conçoit la stasis comme la preuve de l’état malsain d’une société. Il faut donc d’abord tracer ses causes, savoir déchiffrer les symptômes et rattacher le tout, dans une sorte d’étiologie politique, à des constantes. La constante, d’après Aristote, c’est la haine – la perte de la philia, l’amitié civique. La première cause de cette perte, c’est l’injustice, l’inégalité extrême des droits et des richesses. Pour Aristote, la guerre civile est le plus souvent, face à l’injustice, une guerre entre le demos, le peuple, et l’oligarchie. Une autre cause, selon Aristote, c’est la dissemblance extrême : le fait que sur un même sol, dans une même cité, il y ait des gens très différents. Mais il en parle finalement très peu. Pour Aristote, dans le premier cas, la solution pour retrouver la philia est la politeia, une forme de constitution qui donne un accès au pouvoir à toutes les parties de la cité. Et cette idée a fait son chemin, puisque presque 2000 ans plus tard, Machiavel, qui n’est pourtant pas du tout du côté des penseurs grecs, établit un symptôme similaire. Il affirme que la guerre civile provient du fait que les divisions sociales ne peuvent plus être évacuées ou canalisées parce qu’elles ne sont pas traduites et correctement exprimées institutionnellement.
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