Alain Caillé : “L’extrême droite naît des paradoxes du néolibéralisme”
Pour le sociologue Alain Caillé, auteur d’Extrême droite et autoritarisme partout, pourquoi ? (Le Bord de l’eau, 2023), nous vivons au temps d’un totalitarisme inversé, tellement esseulés et méprisés dans des sociétés individualistes et inégalitaires que nous finissons par voter pour des figures autoritaires qui prétendent incarner un commun mais ne font que le détruire un peu plus. Entretien.
En 2019, selon l’institut suédois V-Dem, les pays démocratiques sont devenus minoritaires (87 contre 92). Cela n’était pas arrivé depuis 2001. Mais vous remarquez un phénomène plus inquiétant encore : les démocraties restantes sont partout tentées par l’autoritarisme et l’extrême droite.
Alain Caillé : Nous pensons souvent à Trump et Bolsonaro, mais il s’agit d’un phénomène global. En Égypte, l’éviction de Moubarak par la rue a porté à la présidence al-Sissi dont le pouvoir est encore plus dictatorial. En Israël, Netanyahou est revenu au gouvernement en s’alliant désormais à des partis explicitement racistes. En Inde, longtemps considéré comme la plus grande démocratie du monde, le pouvoir de Narendra Modī se montre toujours plus nationaliste, raciste et intolérant. En Europe, les partis d’extrême droite, ou, disons, de droite dure, siègent au gouvernement ou sont désormais au pouvoir dans de plus en plus de pays, dans la Hongrie de Orbán, dans la Pologne du parti Droit et Justice (PiS), dans la Slovaquie d’Igor Matovič et, plus près de nous, en Italie désormais, avec Giorgia Meloni. Et même en Suède, le pays phare de la social-démocratie, où le parti des démocrates de Suède (SD), fondé par des nationalistes et des néonazis, se présente officiellement comme soutien du gouvernement en exercice. En France, plus personne désormais ne peut exclure la possibilité que Marine Le Pen ne remporte la prochaine élection présidentielle.
“Dans le parcellitarisme actuel, tout ce qui est de l’ordre du commun est vu comme des artefacts largement nuisibles et à déconstruire, pour ne plus laisser place qu’à des consommateurs”
Comment expliquer un tel raz-de-marée ?
Nous vivons depuis cinquante ans dans l’hégémonie mondiale d’un capitalisme rentier, spéculatif et de son idéologie néolibérale. Tout cela a créé un régime de société très particulier que je nomme totalitarisme à l’envers, ou parcellitarisme. Il correspond à l’universalisation de la norme marchande. Les sociétés, les nations ou les cultures deviennent des îles dans l’océan du marché. Dans le totalitarisme, le collectif est indivisé et indivisible, il est tout et l’individu n’est rien. Dans le parcellitarisme, l’individu, démultipliable en une infinité d’avatars, est tout, les collectifs ne sont rien que des constructions transitoires. Tout ce qui est de l’ordre du commun – nations, États, institutions, syndicats, classes sociales, partis, religions, familles aussi, voire les individus eux-mêmes, leur sexe ou leur genre – est vu comme des artefacts largement nuisibles et tendanciellement à déconstruire pour ne plus laisser place qu’à des consommateurs. Ne subsiste que l’individu ou des parcelles d’individus, des avatars sur les réseaux sociaux.
Auteur d’un nouveau texte, Si j’étais candidat… Pour une politique convivialiste (Le Pommier, 2022), Alain Caillé, professeur émérite de…
Avec le Brexit, la pandémie est le second grand ébranlement de l’Union européenne en 2020. Pourrait-elle éclater ? Selon la philosophe italienne…
Qui est Giorgia Meloni, figure montante de l’extrême droite en Italie, qui devrait sortir renforcée des élections du 25 septembre prochain, voire…
La société désigne un ensemble d’individus reliés entre eux par une culture et une histoire. Il est donc abusif de parler de sociétés animales qui ne se perpétuent que par hérédité – non par héritage –, mais pertinent de parler de…
L’époque des « années de plomb » en Italie voit naître des organisations d’extrême gauche armées telles que les Brigades rouges ou Lotta…
Face au terrorisme, comment répliquer sans verser dans l’autoritarisme ? Alors que le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve voit le droit comme l’outil le plus précieux de la démocratie, la philosophe Cynthia Fleury lui fait part…
Le concept d’« écofascisme », né dans les années 1970, s’impose de plus en plus dans le paysage de la pensée écologique. Souvent confus,…
Pour le politologue bulgare Ivan Krastev, auteur du “Destin de l’Europe” (Premier Parallèle, 2017), l’Union européenne doit défendre le caractère…