Alain Caillé : “La convivance, c’est l’art de s’opposer sans se massacrer”
Auteur d’un nouveau texte, Si j’étais candidat… Pour une politique convivialiste (Le Pommier, 2022), Alain Caillé, professeur émérite de sociologie à l’université Paris-Ouest Nanterre, fondateur de La Revue du M.A.U.S.S. (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales) et porte-parole de l’Association convivialiste internationale, prône des mesures « basculantes », permettant à la société de surmonter ses blocages. Un horizon qui se veut moins une apologie de la convivialité que, plus profondément, un appel à la « convivance ». Rencontre.
Dans votre livre, vous prolongez le fil d’une longue réflexion sur la nécessité d’opposer une voie convivialiste à l’esprit dominant du débat public. Il se trouve que récemment, une image du candidat communiste à la présidentielle Fabien Roussel se photographiant avec ses proches autour d’une tablée familiale, a beaucoup été commentée, comme le signe d’une chaleur humaine dont le politique pourrait être l’un des guides. Qu’est-ce que cette image dit, selon vous, de cette attente – ou revendication – diffuse d’une convivialité ?
Alain Caillé : Le message donné par cette image est assez ambigu, comme l’ont bien montré les réactions qu’il a suscitées. Il peut passer, en effet, pour une célébration de la convivialité sans façons, à la bonne franquette. Mais aussi pour une apologie de la bonne franquette qui aime le pinard. Je n’ai rien contre, pour ma part, mais le convivialisme est moins une apologie de la convivialité que, plus généralement et plus en profondeur, un appel à la convivance (mot reconnu désormais par l’Académie française, et bien préférable à l’affreux « vivre-ensemble »). Il représente une philosophie de l’art de vivre ensemble « en s’opposant sans se massacrer », pour reprendre une formule de Marcel Mauss dans l’Essai sur le don (1925). Or il importe au plus haut point d’apprendre à vivre ensemble aussi avec ceux à qui leur religion interdit de boire du vin.
Vous insistez en effet sur “l’absolue nécessité de restaurer et d’améliorer la ‘convivance’ et de rendre notre vie un tant soit peu plus harmonieuse et coopérative”. Ne voyez-vous vraiment aucune trace de cette nécessité dans l’offre politique actuelle ?
Les sympathisants du convivialisme, et, notamment les signataires français du Second Manifeste convivialiste1 s’apprêtent (à ce que je crois en savoir) pour certains à voter Mélenchon, d’autres pour Jadot, Hidalgo, Roussel ou Taubira, certains peut-être pour Macron, voire dans un ou deux cas pour Pécresse. J’y vois un bon révélateur de l’incapacité des partis en lice à parler à la majorité des Français. Chacun vise une clientèle électorale assez particulière. C’est bien sûr en partie inévitable et même désirable. Mais il faut aussi savoir parler au plus grand nombre de Français, et, plus précisément, aux quatre grandes catégories de populations qu’il m’arrive de distinguer : 1) les précaires (Gilets jaunes, périphériques, intermittents, etc.) ; 2) les intégrés (fonctionnaires, salariés en CDI, artisans demandés, etc.) ; 3) les ségrégués (ceux, souvent issus de l’immigration, qui vivent dans les « quartiers ») ; 4) les globalisés (les titulaires de bons diplômes, qui profitent de la mondialisation néolibérale, mais dont certains sont conscients des enjeux climatiques). L’important est de leur montrer comment tous, à l’exception d’une partie des globalisés qui ne songe qu’à gagner toujours plus et se moque de l’avenir de la planète, auraient à gagner à rompre en finesse avec le néolibéralisme – en finesse, car il faut prendre garde aux réactions des « marchés » – et à édifier une société post-croissantiste, c’est-à-dire qui ne croit pas que l’accroissement infini du PIB est la seule réponse possible à tous les problèmes.
Bien sûr, Marcel Mauss (1872-1950) fut d’abord le neveu et l’héritier intellectuel d’Emile Durkheim, ainsi que le penseur du don. Mais il ne fut…
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