Quand Arnold Schwarzenegger dégaine l’épée de Conan contre Trump

La vidéo a fait sensation. On y voit l’acteur et ex-gouverneur de Californie Arnold Schwarzenegger s’adresser à ses compatriotes pour les mettre en garde – lui qui est originaire d’Autriche, pays marqué par le nazisme – contre les partisans de Trump qui ont pris d’assaut le Capitole. L’acteur n’hésite pas à brandir une épée, celle de Conan le Barbare, du nom du héros qui l’a rendu célèbre, pour défendre la démocratie américaine.

My message to my fellow Americans and friends around the world following this week's attack on the Capitol. pic.twitter.com/blOy35LWJ5

— Arnold (@Schwarzenegger) January 10, 2021

Le ciné-philosophe Ollivier Pourriol nous livre son analyse du dernier combat de Schwarzenegger.

L’analyse d’Ollivier Pourriol

D’Arnold Schwarzenegger, on connaît au moins la silhouette d’ex-Monsieur Univers, champion stéroïdé de culturisme, né en Autriche, et parti ensuite à la conquête d’Hollywood. Avec succès : Conan le barbare, Total Recall ou Terminator ont profité de son physique hors norme pour inventer un nouveau genre de héros, à la phrase courte, tout en muscles, allant droit au but. Quand il se lança en politique, il le fit sans surprises du côté républicain, comme ses prédécesseurs venus du western ou du cinéma d’action, Ronald Reagan et Clint Eastwood. Après deux mandats de gouverneur de Californie, il profite d’une retraite heureuse et active de self made man à l’américaine.

Quelques jours après la marche sur le Capitole orchestrée par Donald Trump le mercredi 6 janvier dernier, Arnold Schwarzenegger a posté un message vidéo étonnant sur les réseaux sociaux, s’adressant à la fois à ses compatriotes ayant cédé à l’appel séditieux de Trump et à ceux qui aiment l’Amérique comme idéal démocratique. Assis à son imposant bureau, sur fond de drapeaux américain et californien, il y rappelle être né en Autriche en 1947, d’un père au passé nazi, qui buvait et le battait. C’était le cas de tous ses voisins, qui avaient pour point commun d’avoir cru à des mensonges. Il compare ensuite les événements du Capitole à la Nuit de Cristal, tuerie antisémite de masse organisée en 1938 par Hitler, avant, avec un sens du spectaculaire intact, de sortir une immense épée de cinéma, celle de Conan le Barbare, héros du film qui l’a rendu célèbre, et d’expliciter la métaphore : la démocratie américaine, comme une épée, sortira renforcée des épreuves qui la trempent. 

D’aucuns s’insurgent, ici et là, de l’inculture de Schwarzenegger, lui reprochant son raccourci historique : la Nuit de Cristal, rappellent-ils doctement, avait une tout autre ampleur, et un tout autre but. Trump n’est pas Hitler, il ne faudrait pas mélanger les populismes, et si quelques néonazis arborant tatouages ou tee-shirts à l’effigie du camp d’Auschwitz se trouvaient bien parmi la foule du Capitole, il ne faudrait pas en déduire que le reste des manifestants nourrissait des pensées criminelles ou d’extrême droite. Quant à tirer une épée de carton-pâte pour défendre la flamme de la liberté face à des groupes armés, n’est-ce pas naïf ou ridicule, ou un brin mégalo ?

Les barbares, étymologiquement, sont ceux qui ne parlent pas la même langue que nous. Pour les Grecs, c’étaient ceux qui ne parlaient pas grec. Pour Trump, ceux qui ne pensent pas comme lui. Mais qu’est-ce que penser pour lui ? Et comment rétablir le dialogue avec ses partisans ? Pour résoudre cette énigme, Schwarzenegger a choisi de s’adresser aux zélateurs de Trump en utilisant le même langage que lui : raccourcis frappants, images mémorables. Aux trucs de ce président venu de la télé-réalité, il a opposé ses armes de personnage de cinéma. Et ce n’est pas en tant qu’ancien gouverneur qu’il a parlé, mais en tant que Conan le Barbare. Au délire complotiste, il a répondu par l’heroic fantasy. Fiction contre fiction. Le symbole de la trempe contre les slogans de Trump. Schwarzenegger, en dégainant l’épée, loin de montrer son inculture, a prouvé sa compréhension de ce qui se joue en ce moment en Amérique, et la nécessaire maîtrise de la langue des images pour parler à tous.

Jusqu’ici, pour jauger leur vie politique, les Américains avaient The West Wing, House of Cards ou Designated Survivor, des séries sophistiquées, cérébrales, complexes. Désormais, ils savent qu’ils peuvent compter sur Conan le Barbare.