Roger Berkowitz (1/2) : “Pour neutraliser Trump, il aurait fallu jouer la carte du pardon”

Comment expliquer le retour de l’“insurrectioniste” Donald Trump ?

Roger Berkowitz : C’est en effet sidérant, mais commençons par reconnaître qu’il s’agit d’un phénomène mondial, et pas seulement américain. Vladimir Poutine en Russie est un dirigeant criminel, Recep Tayyip Erdoğan en Turquie, Narendra Modi en Inde, Xi Jinping en Chine, Benyamin Netanyahou en Israël… Tous ces dirigeants sont peu ou prou des criminels. Et pourtant, ils parviennent à rester en place. Une grande partie de la population mondiale est gouvernée par des régimes criminels, les États-Unis ne sont donc qu’un cas particulier d’une constellation mondiale. Il y a une crise globale de l’autorité et de la confiance dans les experts. Il faut dire que dans de nombreux domaines, les experts n’ont pas fait un très bon travail. On a confié le gouvernement à des experts et ils n’ont pas tenu leurs promesses. L’école, la santé, l’économie ne s’améliorent pas. Par ailleurs, les experts ont souvent des intérêts différents d’une grande partie de la population. Les élites éduquées sont à l’aise dans le monde des idées, des écrans et des algorithmes. Alors que la majorité de la population vit dans le monde réel des routes, des tuyaux et des marteaux. Crise de l’expertise, mais aussi crise migratoire et virtualisation de l’économie et de la société, ces trois tendances de fond ont miné la confiance et secoué la scène politique centrale. C’est le cas également en Europe. Aux Pays-Bas, le populiste Geert Wilders vient de remporter les élections ; en Allemagne, le parti d’extrême droite AFD est de plus en plus populaire… La tendance est donc générale.

“Il y a une crise globale de l’autorité et de la confiance dans les experts. Il faut dire que dans de nombreux domaines, les experts n’ont pas fait un très bon travail” Roger Berkowitz

Mais la dynamique autour de Donald Trump, mis en cause par la justice américaine, reste assez singulière, non ?

La véritable énigme se situe, selon moi, dans le parti républicain. Après l’assaut contre le Capitole du 6 janvier 2021, j’étais convaincu que les membres décents et intelligents de ce parti allaient abandonner leur soutien à Trump. Ce personnage a toute de même tenté de subvertir les institutions de base de la démocratie. Après le 6 janvier, on a vu la plupart des responsables républicains éduqués prendre leurs distances avec Trump. Et on a pu croire, un temps, qu’ils avaient réussi. Pendant les élections de mi-mandat, en 2022, les candidats proches de Trump ont tous perdu. Même si la base populaire, composée d’une partie de la classe ouvrière et des évangélistes lui est toujours restée fidèle, la branche mainstream la plus éduquée du parti l’avait lâché. Mais ce qui est choquant, c’est que six mois plus tard, les mêmes étaient déjà revenus dans son camp… Aujourd’hui, plus de la moitié des républicains au Congrès ont déclaré leur soutien à Trump ! Ce sont des gens éduqués et éclairés, et ils le soutiennent à nouveau. Ils savent qu’il a essayé de tricher en tentant de « voler » l’élection. Ils savent qu’il est dangereux. Mais ils le supportent. C’est cela que nous devons comprendre. N’est-il pas stupéfiant qu’un personnage aussi dangereux, qui a essayé de subvertir le processus démocratique, soit redevenu mainstream en si peu de temps ?