“Rendez-vous Gare de l’Est” : lumières de la mélancolie
[Actualisation : reprise au Théâtre du Rond-Point (Paris) du 31 mai au 26 juin 2016] En suivant le quotidien chahuté d’une jeune femme maniaco-dépressive, dans “Rendez-vous Gare de l’Est”, le metteur en scène Guillaume Vincent dresse non seulement un portrait sensible, il met aussi en lumière un sentiment tragique que la société tend à occulter.
Les artistes ne s’y sont pas trompés, qui ont retiré des affres de la mélancolie et des sursauts de folie noire les œuvres les plus profondes et les plus belles. Avec une même ambition, modeste mais clairement assumée, et un sujet semble-t-il très prosaïque, le metteur en scène Guillaume Vincent écrit et met en scène Rendez-vous Gare de l’Est, dressant le portrait d’une trentenaire maniaco-dépressive. Rien de pesant pourtant dans ce spectacle court et enlevé, où l’on suit les courbes sinusoïdales de la santé mentale, ses affres et ses excès.
Pour écrire ce morceau de bravoure sans apprêts, l’auteur a compilé des heures d’entretiens menés durant six mois dans un café de la Gare de l’Est, dont il a retranscrit méticuleusement chaque mot. Il a ensuite gommé, avec l’aide de la dramaturge Marion Stoufflet, les références exclusives, les dates et les effets d’ajointement trop flagrants dans le texte, jusqu’à parvenir à ce monologue d’une heure d’un dépouillement absolu, si ce n’est l’intense présence de l’actrice Émilie Incerti Formentini, qui l’interprète.
Remarquable de justesse jusque dans les hésitations, les coqs-à-l’âne et dans l’hébétude du mélancolique, elle n’est pas un objet de voyeurisme pour le spectateur mais plutôt un flux tendu de pensée à vif, mêlant réalité et fiction, et moins désordonné qu’il n’y paraît au premier regard. Car cette traversée du quotidien de la maladie n’est pas seulement celle de l’individu mais aussi de notre société : « le portait d’une jeune femme qui aurait développé allergie batailleuse à un monde réellement allergène », selon Marion Stoufflet.
Constat partagé par l’historien d’art Jean Clair, auteur d’un large essai sur la mélancolie, et selon qui : « Nous sommes à une époque qui se proclame euphorique mais qui est, en réalité, profondément mélancolique. Quand on lui met devant les yeux des preuves de sa mélancolie profonde, elle les reconnaît immédiatement et d’autant plus violemment qu’on lui refuse en temps normal de se considérer comme telle. Les époques qui acceptent la mélancolie y puisent un accroissement de force. Faute de l’assumer, nous ne retirons rien de notre propre mélancolie, sinon un accroissement de peine, de souffrance et de stérilité. »
Accepter cette mélancolie et apprendre à vivre avec le tragique, voilà l’un des enseignements de ces rendez-vous de la Gare de l’Est, qui en faisant et de la dépression un sujet de représentation, remettent le sentiment du tragique sur le devant de la scène avec une clarté sans appel, sinon avec joie.
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