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Kautilya, aussi connu sous le nom de Chanakya, était un conseiller du premier empereur Maurya Chandragupta (340-293 av. J.-C.). © Bridgeman Images

Pensées d’ailleurs

Qui était Kautilya, le Machiavel indien ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 10 décembre 2022 16 min

« Il est temps que l’Inde revienne à l’idée de capitalisme dharmique développée par Kautilya », lançait récemment le journaliste Jaithirth Rao dans The Print. En 2021, le Premier ministre indien Narendra Modi citait le même Kautilya à la tribune de l’ONU.

Qui est donc cet intrigant penseur et conseiller politique qui vécut il y a 2 400 ans – et proposa une conception très pragmatique, si ce n’est un peu effrayante, de l’exercice du pouvoir ?

 

“La littérature hindoue nous offre même un exposé classique du ‘machiavélisme’ radical, au sens populaire du machiavélisme ; il suffit de lire l’Arthashâstra de Kautilya qui fut écrit bien avant l’ère chrétienne, probablement sous Chandragupta. Comparé à ce document, Le Prince de Machiavel est un livre inoffensif”

Max Weber, Le Savant et le Politique, (1919)

Le nom ne vous dit probablement rien. Son maître-ouvrage, l’Arthashâstra (ou Árthaśāstra, अर्थशास्त्र) rédigé à l’intention des souverains de la dynastie Maurya, dont « Kautilya » aurait été le Premier ministre (il s’agit probablement de Chânakya), fut découvert un peu par hasard en 1905 dans un village du sud de l’Inde. Sur le papier, il s’agit – comme Le Prince – d’un manuel pragmatique à destination du souverain qui veut conquérir et surtout conserver le pouvoir. Mais l’ampleur du propos, plus d’un millénaire avant celui de Machiavel, impressionne par sa radicalité. Machiavel s’adressait aux petits seigneurs des cités italiennes ; Kautilya conseillait des empereurs régnant sur la quasi-totalité de l’Inde, du Pakistan et de l’Iran actuel. Si tous deux partagent l’idée suivant laquelle la fin justifie les moyens, et légitiment apparemment les actions politiques les plus immorales pour conserver le pouvoir, ce cynisme semble exacerbé chez Kautilya. D’où, sans doute, cet étonnant surnom, à l’attribution incertaine et peu flatteuse, puisqu’il signifierait le « fourbe », le « malhonnête » en sanskrit. Toujours est-il que Kautilya consacre de longues pages à décrire les stratagèmes permettant l’élimination d’un rival, d’un ennemi ou d’un rebelle.

Aujourd’hui, le sulfureux penseur est cité par le Premier ministre indien Narendra Modi, à la tribune de l’ONU : « Chânakya a dit que lorsque la chose à faire n’est pas accomplie au bon moment, le temps lui-même détruit la réussite de cette chose. L’ONU doit améliorer son efficacité et sa fiabilité pour rester pertinente. » Là encore, nous sommes très proches de l’idée d’opportunité développée par Machiavel. Examinons sa pensée d’un peu plus près.

Assassinat et subversion

« Un seul assassin, par les armes, le feu ou le poison peut faire davantage qu’une armée entière mobilisée » – en particulier lorsque le prince est aux prises avec un adversaire plus fort que lui. Cette guerre officieuse doit presque toujours être préférée à la guerre officielle, pour Kautilya : « On peut perdre une guerre aussi facilement qu’on peut la gagner. La guerre est imprévisible, de manière inhérente. La guerre est coûteuse. Évitez la guerre. […] Comprenez l’adversaire et cherchez à le surpasser. » Le conflit ouvert est une solution de dernier recours. Mais comment vous y prendre, si vous souhaitez « assassiner un agresseur » qui vous menace, plutôt que de le combattre ouvertement ?

Le Machiavel indien propose une multitude de stratégies pour atteindre cet objectif. « Profitant de l’opportunité d’une cohue, des assassins peuvent entrer dans la chambre du roi et le tuer. » Il suffit de créer le tumulte. S’il se baigne, lâchez des « crocodiles et autres bêtes » ; s’il est « dans un endroit confiné » comme une forteresse, « vous pouvez le tuer par le feu ». « L’agresseur peut également être tué […] quand, en quête de piété, il se rend à une cérémonie pour vénérer ou lors de ses visites fréquentes du temple » : utilisez « un mécanisme provoquant la chute d’un mur ou d’une pierre », des « armes cachées dans l’image de la divinité », en « empoisonnant les fleurs et les encens », etc. Les stratégies ne manquent pas. Certaines manipulations se révèlent d’une incroyable sophistication : « un agent, sous les traits d’un marchand, prétendra être amoureux d’une servante intime de l’épouse favorite de l’agresseur, il la couvrira de richesses puis l’abandonnera. Alors, un autre agent, se faisant passer pour l’assistant du premier, recommandera un troisième agent, déguisé en ascète expert en potions d’amour. Ce prétendu expert donnera une potion à étaler sur le corps de l’objet du désir. » Avec l’aide du second agent, la servante croira réussir à faire revenir le marchand. Elle conseillera bientôt la potion à la reine. Alors, « du poison sera substitué, et ainsi l’agresseur tué ». Ne jamais négliger le pouvoir des femmes, dans la « guerre silencieuse » – Kautilya les mobilise très fréquemment. Le raffinement du stratagème en exacerbe le cynisme.

À défaut de pouvoir assassiner l’adversaire, conseille Kautilya, affaiblissez-le. « Des agents, déguisés en vendeurs de vins ou de viande cuite, de riz ou de gâteaux, attireront les gens du camp de l’adversaire en vendant à bas prix de la nourriture de grande qualité, au motif d’une concurrence mutuelle manifeste. La nourriture ou la boisson seront mélangées à du poison. » N’hésitez pas non plus, conseille Kautilya, à « créer le chaos dans le camp adverse », à la veille d’une attaque : « libérez le bétail », « libérez les animaux sauvages de leurs cages », « mettez le feu », etc. Mais la stratégie favorite de Kautilya reste la « subversion ». « Des résultats miraculeux peuvent être atteints en utilisant les méthodes de la subversion. » Encouragez l’un des fils de l’adversaire à renverser son père pour prendre le pouvoir, piégez un haut fonctionnaire du camp adverse en le faisant accuser de trahison par différents agents corroborant leurs discours respectifs, ou « gagnez sa confiance et persuadez-le qu’il a les qualités d’un roi », afin qu’il tente d’usurper le trône – « Une femme mendiante prédira à la femme du haut fonctionnaire qu’elle sera reine », pour accroître les chances de réussite du stratagème. Que la trahison soit réelle ou fictive importe peu, tant que l’adversaire se sent trahi. Il est également possible de « subvertir les chefs militaires », en les « soudoyant au moyen de terres ou de richesses », afin qu’ils « désertent ou combattent » dans votre camp. Toutes les strates de la société adverse peuvent être subverties par des moyens adaptés. Cette typologie sociale se double d’une autre, en termes d’affects, qui module les stratégies à adopter. Et Kautilya de détailler les différents moteurs affectifs de la trahison possible : colère, peur, orgueil, cupidité, humiliation…

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