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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Quelle épochè !

Ariane Nicolas publié le 01 décembre 2023 3 min

« COP 28 de la honte, guerre au Proche-Orient, meurtre de Thomas à Crépol, relaxe d’Éric Dupond-Moretti, barnum des Jeux olympiques… Il n’y a pas un jour, pas une heure sans que nos esprits ne soient incités à se prononcer sur tel ou tel sujet. Vous saturez ? Moi aussi, un peu.

Lorsque j’ai entamé ma scolarité à Sciences Po, il y a dix-neuf ans, une enseignante m’a transmis un bien étrange enseignement. “Ici, vous n’avez pas le droit de ne pas avoir d’avis.” La professeure, qui avait grenouillé dans des cabinets ministériels avant de vendre ses talents de réseauteuse à un laboratoire pharmaceutique, reprochait à une élève, sous couvert de pédagogie, de ne pas savoir s’il était préférable administrativement de supprimer les départements ou les cantons français. Dans mon coin, je n’en avais pas la moindre idée, et je crois qu’au fond, ladite enseignante non plus. Mais elle posait ici un précepte fort, censé nous permettre de mieux nous orienter dans la vie – et notamment dans la recherche d’un emploi.

Avec le recul, j’ai l’impression que cette sentence résume assez bien ce qu’est devenue notre époque. L’omniprésence des écrans et des réseaux sociaux nous pousse à consommer toujours plus d’information, à liker et à commenter une montagne de faits. On donne son avis à hue et à dia, qu’il s’agisse d’événements graves comme les guerres, ou de réalités plus légères – une intervention stupide dans une émission de télé, une action militante culottée qui ragaillardit. Si, depuis notre lit ou un siège de bus, nous avons conscience d’avoir une capacité d’action quasi nulle sur ce qui se joue réellement, nous trouvons au moins un certain plaisir à donner notre assentiment. Notre pépiement alimente la grande conversation mondiale et nous nous sentons un peu moins seuls.

J’imagine que nous avons tous nos seuils de tolérance en matière d’actualité, et j’ignore comment ils se fixent en chacun de nous. Je sais en revanche qu’il y a deux semaines, j’ai atteint ma limite. J’ai quitté le réseau social X, gangréné par l’idéologie poisseuse d’Elon Musk. Sur Facebook, je ne poste plus que des photos de cocktails et de balades à cheval. Avec mes proches, lorsque je sens qu’un dossier un peu chaud s’invite dans la conversation, j’essaie de prévenir sans trop froisser : “Désolée, mais je crois que je n’ai plus trop d’avis...” Mon ancienne prof aurait sans doute honte de moi. J’ai au contraire la conviction d’avoir gagné peut-être pas en sagesse, le mot serait trop grand, mais en réflexivité, en allégresse et en quiétude.

Pour m’aider à adopter cette attitude quelque peu contre nature, je me suis référée à un concept antique : l’épochè. Chez les philosophes sceptiques, l’épochè (ἐποχή) désigne la suspension du jugement, le refus de s’exprimer sur la validité d’une proposition. C’est un idéal intellectuel, la dernière marche avant d’arriver à l’ataraxie, comme le dit Sextus Empiricus dans ses Esquisses pyrrhoniennes : “Le scepticisme est la faculté de mettre face à face les choses […], capacité par laquelle, du fait de la force égale qu’il y a dans les objets et les raisonnements opposés, nous arrivons d’abord à la suspension de l’assentiment [épochè], et après cela à la tranquillité de l’âme.” Position radicale s’il en est, puisqu’elle renonce à toute affirmation qui en exclurait une autre, mais qui a le mérite de la modestie.

Je ne suis pas sûre que suspendre son jugement soit une position éthiquement tenable à long terme. Peut-être suis-je déjà dans l’erreur, et ai-je décidé de me retirer du grand raout des “pour ou contre” à un moment important de l’histoire où je devrais justement me positionner. Qu’on me permette toutefois d’envisager mon épochè comme une sorte d’exercice spirituel à pratiquer de manière intermittente, exercice qui s’avère au passage aussi bénéfique pour moi que pour les autres. Car enfin, j’aurais une vision bien extravagante de ma personne si je tenais mon jugement sur le monde pour indispensable. Après toutes ces années, je ne sais toujours pas si j’aurais supprimé les départements ou les cantons... et je ne m’en porte pas plus mal. Il me semble que vous non plus, d’ailleurs ! »

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