Machiavel et l’humeur des foules
L’historien Sandro Landi, spécialiste de la culture politique de l’Italie moderne (XVIe-XVIIIe siècles), propose une nouvelle lecture de Machiavel. Il examine comment le Florentin a analysé l’émergence de l’opinion publique à travers la notion de multitude et d’opinion collective.
Pour vous qui fréquentez Machiavel depuis plus de quinze ans, comment l’imaginez-vous ?
Difficile de répondre à votre question. On ne sait d’ailleurs pas grand-chose sur son aspect physique. En réalité, tous les portraits de Machiavel qui circulent sont posthumes, donc peu fiables ; pire, ils sont même influencés par sa légende. Pour ce qui est de son caractère, ses biographes ont beaucoup écrit et brodé sur le sujet dans le but, principalement, d’en faire un être humain plutôt sympathique et de démentir sa « légende noire ». J’avoue que cela me laisse indifférent et j’estime que pour pouvoir interroger à nouveau Machiavel il faut plutôt le mettre à distance, respecter son altérité et s’en tenir aux sources. Son portrait psychologique émerge parfois et par bribes des lettres de ses proches. Machiavel était sans doute un être très sociable et probablement quelqu’un d’assez charismatique dans son environnement de travail, à la chancellerie de la république, ou intellectuel, par exemple pendant les réunions des jardins Rucellai (Orti Oricellari). Le portrait que je préfère émerge, inopiné, dans une lettre de François Guichardin qui lui reproche, de manière facétieuse, d’« avoir toujours été, au plus haut degré, éloigné de l’opinion commune et inventeur de choses nouvelles et insolites ». Machiavel était probablement animé par un fort esprit de contradiction et perçu par son entourage comme quelqu’un d’original, de très vif et de très inquiet.
Est-ce un humaniste à vos yeux ?
Il n’a ni l’éducation ni le statut intellectuel d’un humaniste au sens strict du terme. Il suffit notamment de le comparer à Érasme, qui bénéficie, vivant, d’une immense notoriété et influence. D’ailleurs, Érasme, qui a séjourné à Florence en 1506, a très probablement rencontré Machiavel, mais s’est bien gardé de le mentionner dans ses lettres.
Et pour un Florentin que représente Machiavel : héros ou vilain ?
À Florence, Machiavel n’est certainement pas considéré comme un personnage maléfique. D’abord parce qu’il y est né et, pour nous autres Florentins, le sentiment d’appartenance est très puissant. La majorité des gens qui naissent dans l’enceinte de la ville sont baptisés dans le baptistère de Saint-Jean. C’est une sorte de brevet d’appartenance à une communauté de vivants et de morts qui remonte au moins au XIIIe siècle. Machiavel, dont les parents sont citoyens de la ville, fait partie intégrante de son histoire et il n’a jamais vraiment eu à Florence cette réputation sulfureuse qu’on lui a attribuée un peu partout ailleurs. Au contraire, nous sommes plutôt fiers de l’avoir comme concitoyen.
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