Cass Sunstein : le “bruit”, ennemi invisible de nos jugements
Si le problème des biais cognitifs est aujourd’hui bien identifié, celui du « bruit » aléatoire qui parasite nos jugements et nos décisions l’est moins. Explication avec Cass Sunstein, l’ex-administrateur du Bureau de l’informations et des affaires réglementaires de la Maison Blanche, qui a récemment fait paraitre Noise. Pourquoi nous faisons des erreurs de jugement et comment les éviter (Odile Jacob) avec Olivier Sibony et Daniel Kahneman.
Votre dernier ouvrage, coécrit avec Daniel Kahneman et Olivier Sibony, développe le concept de « bruit » [noise en anglais]. De quoi s’agit-il ?
Cass Sunstein : Le bruit peut être défini comme une variable indésirable dans les décisions. C’est le facteur de hasard qui affecte les processus de jugement. À cause du bruit, des jugements sur les mêmes faits en viennent à différer – alors que nous souhaiterions qu’ils coïncident. Le bruit se distingue ainsi du biais cognitif (ou de la distorsion cognitive). Là où les distorsions cognitives marquent un écart systématique par rapport à la moyenne, le bruit désigne une fluctuation aléatoire indésirable autour de cette moyenne. Prenons un exemple. Imaginons une balance qui surestime, tout au long de la semaine, votre poids : cette balance est biaisée. Les résultats qu’elle donne sont systématiquement incorrects, mais incorrects de manière constante. Imaginons maintenant une autre balance qui donne un poids tantôt surestimé, tantôt sous-estimé. Nous avons ici affaire à une balance « bruyante » : une balance qui produit des résultats aléatoires, qui produit du « bruit ».
“Même si le bruit est identifié, sa cause peut rester complètement floue. C’est ce qu’il y a de fascinant dans le phénomène”
Ce caractère aléatoire rend le problème du bruit particulièrement difficile à appréhender…
Les distorsions cognitives ont un certain « charisme », qui les rend assez visibles. Les biais sont comme des stars que vous ne pouvez pas vous sortir de la tête. Le bruit, en revanche, n’a pas cette visibilité. Ses conséquences et ses coûts restent en général cachés ; on ne le remarque qu’après coup, quand des gens ont été affectés. Notre livre s’efforce d’attirer l’attention sur ce problème. De nombreuses décisions prises par les institutions publiques ou les organisations privées sont bruyantes, mais cette source d’injustice n’attire pas l’attention. Le bruit est un personnage secondaire, qui se tient dans l’ombre du héros éblouissant – le biais. Même si le bruit est identifié, sa cause peut rester complètement floue. C’est ce qu’il y a de fascinant dans le phénomène.
Daniel Kahneman, qui vient de disparaître le 27 mars 2024, a fait plus que déceler une faille dans le système. Ce psychologue, tel un Socrate…
Olivier Sibony, spécialiste de la décision dans la sphère professionnelle, attire l’attention sur les biais partagés et le « bruit » qui…
Dans Faire la morale aux robots. Une introduction à l’éthique des algorithmes (Flammarion, 2021), le chercheur en éthique de l’intelligence…
Déterminés à suivre les règles du jeu, Joseph K., condamné à mort sans motif, et l’arpenteur K., privé de droits, meurent de n’avoir pas compris que les dés étaient pipés. Kafka met ainsi au jour, écrit Arendt, la « structure…
On appelle cela des « biais cognitifs » : face à un événement spectaculaire et inattendu, les réactions à chaud sont autant de tentatives maladroites pour donner un sens à l’expérience du monstrueux. Voici les principales attitudes…
Son nom ne vous dit peut-être rien, mais les travaux de ce spécialiste de psychologie cognitive se révèlent salutaires à l’heure où les infox et…
À l’aube des années 1980, il était avec Daniel Darc dans Taxi Girl, le groupe du tube Cherchez le garçon qui a ouvert la voie à la modernité…
Daniel Kahneman, psychologue et lauréat en 2002 du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel, est décédé le 27 mars. Le…