Chris Bail : "Les réseaux sociaux polarisent l’attention sur les fractions plus extrêmes de la société et invisibilisent la majorité modérée"
Sur Twitter ou sur Facebook, le débat en ligne a rarement été aussi polarisé. La faute aux réseaux sociaux qui encouragent l'entre-soi ? En partie, mais la question est plus complexe, pour le spécialiste américain des médias Chris Bail : au-delà des opinions, c'est l'identité qui est en jeu dans les extrémismes qui se déversent sur la toile. Nous n’apaiserons pas le débat sans repenser en profondeur le fonctionnement de ces plateformes.
Les algorithmes qui organisent l’information sur les réseaux sociaux ont tendance à nous enfermer dans une « bulle informationnelle » où nous ne croisons que des gens qui pensent comme nous. Est-ce l'une des raisons de la virulence des débats en ligne ? La confrontation d'opinions permettrait-elle davantage de modération ?
Chris Bail : L’idée que les gens deviennent plus modérés lorsque vous les sortez de leur zone de confort avait du sens à mes yeux au début. Il y a deux décennies, Cass Sunstein craignait déjà que les réseaux sociaux nous permettent de personnaliser notre consommation d’informations au point de ne plus être en contact qu’avec des points de vue que nous partageons déjà. Des activistes comme Eli Pariser ont ensuite alerté sur le fait que les algorithmes accentuaient cette tendance, et nous enfermaient dans une « bulle informationnelle ». J’étais également de cet avis : je pensais qu’il fallait faciliter le contact entre les gens au delà de leur bulle, et la confrontation avec des points de vue différents.
Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?
Une expérience. Nous avons invité un grand nombre d’utilisateurs de Twitter affiliés au Parti républicain ou au Parti démocrate à suivre un robot créé par nos soins, qui relayait les messages des partisans adverses. Or, nous n’avons pas observé que ces gens tempéraient leurs opinions lorsqu’ils entraient en contact avec des gens qui pensent différemment. Au contraire : la polarisation a augmenté, en particulier chez les Républicains.
Quelle conclusion en tirez-vous ?
Quitter sa zone de confort ne favorise pas le débat d’idées. Cela crée plutôt une compétition d’identités.
Vous avez un exemple en tête ?
Je me souviens particulièrement de l’histoire d’une femme que nous avons interviewée dans le cadre de notre étude. Appelons-la Patty. Patty est une femme plutôt âgée qui vit au nord de l’État de New York. Démocrate, elle est assez peu partisane et ne se soucie pas vraiment de la politique. Elle a même un certain nombre d’opinions conservatrices. Elle s’inquiète notamment du développement de l'État tentaculaire, et craint que les immigrants ne menacent les valeurs culturelles des États-Unis. Je pensais qu’elle serait facilement attirée par le populisme à la Trump. Mais il s’avère que Patty a concentré ses attaques sur les républicains les plus extrêmes, qui mitraillaient son camp d’une manière très grossière et personnelle. Même une démocrate fondamentalement indifférente comme Patty est soudain devenue une démocrate convaincue, soucieuse de défendre son identité. Elle a vécu le fait de sortir de sa bulle comme une l’entrée dans une guerre où elle devait choisir un camp.
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