Pourquoi les « gilets jaunes » sont les héritiers de la Commune de Paris

Certains événements historiques inspirent la révérence et l’enthousiasme, d’autres le dégoût et l’horreur. La Commune, dont le 150^e anniversaire sera célébré dans un mois, fait partie de ceux qui sont malcommodes à la plupart des gens. La droite n’est pas fière des massacres de la Semaine sanglante. La gauche parlementaire ne sait trop que faire d’un gouvernement qui fit sécession de l’Assemblée nationale. Comme ses ancêtres – que l’on songe à l’affection et à l’admiration que vouait Clemenceau à Louise Michel, ou au combat de Victor Hugo en faveur de l’amnistie –, elle défendra plus facilement les communards que la Commune elle-même. 

Il n’y a qu’à l’extrême gauche que l’événement est salué comme la première tentative de « gouvernement ouvrier ». On en critiquera la tactique, la stratégie, les erreurs à ne plus commettre, mais sans que cela diminue en quoi que ce soit la dévotion réservée à ses héros.

Un caillou dans la chaussure de l’histoire

Mais, à l’exception de cette minorité, l’événement reste une sorte de caillou dans la mémoire. Et il sera d’autant plus curieux de voir comment il sera commémoré cette année. D’autant plus curieux et d’autant plus intéressant, car, en réalité, si la surface du problème politique a changé, les données profondes d’où surgit la Commune sont toujours là.

Quelle sera l’attitude de l’État commémorateur ? On n’en a pour l’instant aucun indice, sinon une étrange déclaration d’Emmanuel. Macron dans un documentaire diffusé en 2018, à propos de la réception à Versailles de Vladimir Poutine: 

« Versailles, c’est là où la République s’était retranchée quand elle était menacée. »

Comme on voit, la phrase est sibylline. Le mot de « Commune » n’est même pas prononcé. Comme si la thèse du président de la République était trop énorme pour être formulée clairement, et qu’il valait mieux s’entendre à demi-mots.

Cette thèse, formulons-la : dans la guerre civile qui opposa en 1871 l’Assemblée de Versailles à la Commune de Paris, l’Assemblée représentait la République. Menacée, donc, par la Commune. 

La thèse est illustrée un an plus tard par l’éditorialiste Christophe Barbier, sur un plateau de télévision :

Christophe Barbier : « Il y a une filiation directe [entre Thiers et Macron]. [Thiers] revient en 1870 pour installer et conforter la République.
Le présentateur : — Et massacrer les communards.
Christophe Barbier : — Aussi, mais en massacrant les communards il sauve la République. »

Cette thèse sur la Commune, en réalité, n’est même pas une thèse, c’est-à-dire une position qui mérite d’être soumise à la discussion, mais un mensonge délibéré. Il s’agit donc non pas de la discuter par des arguments, mais de la réfuter par des faits.

Face aux mensonges, le rappel des faits

On se rappelle que, suite à la défaite de Napoléon III à Sedan, la République avait été proclamée à Paris le 4 septembre 1870. Un gouvernement de la Défense nationale est chargé de poursuivre la guerre contre la Prusse. Mais très vite prend corps un affrontement plus ou moins larvé, plus ou moins violent, entre un Paris populaire, profondément patriote, profondément républicain, qui subit un siège héroïque de plusieurs mois, et le gouvernement de la Défense nationale qui, en réalité, n’a de cesse que de conclure un armistice avec la Prusse. Car son vrai problème, c’est l’agitation, c’est l’effervescence de Paris.