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Crâne d’une adolescente mutilée pour adultère retrouvé à Oakridge, près de Basingstoke (Royaume-Uni). Datés du haut Moyen Âge, les restes montrent que la jeune fille avait eu les lèvres et le nez coupés avant de succomber. © Garrard Cole/UCL/Antiquity Publications Ltd.

Tribune

Pierre Vesperini : “Le crâne de cette jeune fille nous somme de comprendre les violences faites aux femmes”

Pierre Vesperini publié le 29 octobre 2020 11 min

Un crâne, retrouvé en 1965 dans des décombres à Oakridge, près de Basingstoke (Royaume-Uni), a été identifié. Il appartenait à une adolescente qui fut cruellement exécutée au IXe siècle. Pierre Vesperini, philosophe et docteur en histoire, s’appuie sur cette macabre découverte pour tracer une généalogie des violences subies par les femmes au cours des siècles.

 

En 1965, dans une banlieue de Basingstoke (Hampshire), des ouvriers travaillaient sur un chantier de construction (des tours d’habitation). Une excavatrice, en creusant un fossé de drainage, mit au jour un crâne. Il fut remis à l’University College London (UCL), et on n’en entendit plus parler… jusqu’au mois dernier, lorsque parurent dans la revue Antiquity les résultats de l’enquête menée par une équipe de chercheurs. 

Ce crâne est ce qui reste d’une jeune fille d’environ quinze/dix-huit ans. Elle vivait au IXe siècle. Elle n’était pas de la région, mais on ignore d’où elle venait. On lui a tranché le nez et les lèvres, on l’a scalpée, et elle serait morte peu après, peut-être le jour même, peut-être le lendemain, car il n’y a aucune trace de remodelage osseux. Il est possible qu’une hémorragie massive due à la section des branches de l'artère faciale ait étouffé la jeune fille, à moins qu’on l’ait mise à mort juste après l’avoir mutilée.

L’amputation du nez était le châtiment que le roi Knut le Grand (début du XIe siècle), à l’article 53 de son code de lois, réservait aux femmes adultères : « Toute femme qui commet un adultère avec un autre homme alors que son mari est encore en vie, si on la découvre, subira la disgrâce publique, et son mari aura tous ses biens, et elle perdra son nez et ses oreilles. »

C’est Wulfstan, le riche archevêque d’York, ami des puissants, qui avait dicté cette mesure, qu’on retrouve également dans d’autres codes de lois médiévaux, ceux des empereurs byzantins (dès le VIIIe siècle) ou du « despote éclairé » Frédéric II de Hohenstaufen (1194-1250), qui a si bonne presse parmi nous depuis Kantorowicz, et autorise les maris à trancher le nez d’une épouse adultère.

Ce châtiment s’inspire de la Bible – d’une façon générale, on ne peut pas surestimer l’autorité exercée par la Bible sur le droit médiéval : « C’est pourquoi, Oholiba, ainsi parle le seigneur Dieu : voici que moi je dresserai tes amants contre toi ; maintenant que tu éprouves du dégoût pour eux, je vais les faire venir de partout contre toi ; […] ils te couperont le nez et les oreilles et ils t’achèveront avec leurs épées. » (Ézéchiel, 23, 22 sq.)

Que le passage ait été allégorique – Oholibah représentant Jérusalem « infidèle » à Dieu – n’importait pas aux intellectuels (à savoir, les ecclésiastiques et les juristes) qui composaient les codes de lois de l’Europe chrétienne. Pour instituer la domination masculine sur le corps féminin, ils ne s’embarrassaient pas de subtilités exégétiques, qu’ils réservaient à leurs cours et à leurs sermons.

Il en allait de même sans doute de leurs zélés prédécesseurs, ceux qui présidèrent au meurtre de la jeune fille d’Oakridge.

Deux indices montrent bien en effet qu’on a affaire ici à un meurtre légal.

Le corps n’était pas enterré dans un cimetière, mais à la frontière des anciennes paroisses de Basing in the Hundred et de Chineham. Or, à partir de la christianisation de l’Angleterre (VIe-VIIe siècle), c'est dans ces marges frontalières qu’on se mit à enterrer les réprouvés de la société nouvelle : criminels, suicidés, adultères, prêtres et nonnes en rupture de vœux, etc. Pour bien marquer leur statut de damnés (dampnati), les corps sont souvent déposés près de ruines « païennes », qui servent de bornes séparant les territoires : tumulus, collines fortifiées, talus, fossés, etc. Or – et c'est le deuxième indice – le crâne a justement été retrouvé près de vestiges antérieurs à la conquête romaine : un puits, des morceaux de poterie, des restes de huttes, un talus, un fossé. À la même période, c'est dans les mêmes parages que l’on installe les gibets. Ces lieux devinrent bientôt le rendez-vous des sorcières. Des monstres les hantaient. Et des fantômes.

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