Penser sur le long terme : entre nécessité et danger
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Cette semaine, une question : quelle place la politique doit-elle donner au temps long ? Face à la crise écologique, nous sommes en effet enjoints à penser nos actions sur le long terme. Mais le long-termisme a aussi une face sombre : la survie de l’humanité risque bien de devenir le seul objectif, éclipsant tous les autres problèmes, et en particulier ceux que vit la population au temps présent. Alors, que faire ?
Face à la crise écologique, la décroissance est-elle la solution inévitable ? En un sens oui, mais tout dépend de ce que l’on entend par « décroissance ». Pour Pierre Caye, auteur récemment de Durer (Les Belles Lettres, 2020), c’est le sens même de ce que signifie « produire » qui est à repenser : « Il s’agit d’organiser non la décrue quantitative, mais la réorientation qualitative du système productif. » Sur le site AOC, il assure que l’essentiel est de réapprendre à « transformer les richesses de court terme, volatiles et instables » – que nous surproduisons et détruisons très vite – « en biens institutionnels, intellectuels et symboliques, bref, en biens pérennes et durables, qui relèvent plus de la reproduction de la vie que de la production économique ». Ainsi, une vraie conception de la décroissance ne consiste pas à se priver en produisant moins, mais à produire autre chose : des réalités durables. Ce changement de paradigme, difficile à mettre en œuvre dans des sociétés qui s’articulent sur la tyrannie de l’instant, suppose « de repenser la différence entre le court terme et le long terme, le matériel et l’institutionnel, l’économique et le politique, tant il est vrai que transformer les richesses matérielles en institutions et en biens communs est par essence la tâche du politique ».
Penser sur le long terme semble plus que jamais nécessaire face aux problèmes globaux auxquels nous sommes confrontés. Mais l’approche du temps long peut aussi devenir un danger, lorsqu’elle devient un véritable « credo ». C’est ce que souligne l’essayiste Phil Torres dans un long essai paru sur Aeon, où il s’attaque aux thèses futuristes, celles de Nick Bostrom en particulier : « Selon ses propres termes, même s’il n’y a qu’un pour cent de chance que 1054 personnes existent dans le futur [sic], alors la réduction du risque existentiel de disparition de l’humanité d’un simple milliardième de milliardième vaut cent milliards de fois un milliard de vies humaines. » La formulation vous semble abstruse ? Comprendre : le « fanatisme » du long-terme peut devenir un « danger considérable » s’il est « embrassé par certains leaders politiques ». En effet, il peut en particulier servir à légitimer une armada de mesures répressives, comme la « mise en place d’un système de surveillance global et invasif, qui surveillerait chaque personne sur la planète en temps réel, pour amplifier les capacités préventives de la police. » État d’urgence, quand tu nous tiens…
Phil Torres n’est pas seul dans sa critique du long termisme. C’est tout un mouvement de protestation qui est en train de se constituer dans le monde anglo-saxon. Le philosophe australien Peter Singer s’est emparé du problème dans une tribune publiée sur le site du magazine Project Syndicate. À ses yeux, le problème de la survie de l’espèce humaine dans un contexte de crise écologique ne doit pas conditionner tous les combats à mener aujourd’hui : « Voir les problèmes actuels – inégalités, guerre, discriminations – à travers le prisme du “long terme” et du “risque existentiel” peut réduire ces problèmes à presque rien.” Pour appuyer sa thèse, il cite en exemple les grandes idéologies telles que le stalinisme et le nazisme, qui ont chacune commis des crimes au nom d’idéaux portant sur le très long terme (respectivement, la fin de l’histoire du point de vue marxiste et le millénarisme du IIIe Reich). Il préconise ainsi de ne pas raisonner « uniquement dans le but de réduire les risques pouvant concourir à l’extinction de l’espèce humaine », mais à « prendre en compte les intérêts des personnes présentes et futures, ainsi que leur bien-être ». Une façon d’affirmer que la philosophie utilitariste s’intéresse autant, si ce n’est davantage, aux souffrances présentes qu’à celles à venir.
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