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Sur la promenade du front de mer d'Odessa, dans la zone d'Arcadia, les plages, minées, sont interdites au public. © Émilien Urbano pour PM.

Reportage

Odessa, la guerre en embuscade

Michel Eltchaninoff publié le 07 juillet 2022 15 min

Ce port ukrainien bordant la mer Noire traverse une drôle de guerre. La ville est l’un des principaux objectifs des forces russes. Mais elle reste imprenable. Entre peur et envie d’oubli, hantise de la mort et pulsion de vie, engagement et culpabilité, comment ses habitants vivent-ils cette période tragique ? Pour tenter de le comprendre, notre rédacteur en chef Michel Eltchaninoff, auteur de Dans la tête de Vladimir Poutine, s’est rendu sur place.

 

Sur la route des plages, ce dimanche après-midi de juin, des notes d’accordéon et le tintement des verres s’échappent furtivement d’un restaurant. Le soleil brûle la peau. Une dame se promène en maillot de bain léopard. Des jeunes tatoués passent à vélo. Mais les rives de la mer Noire restent vides. L’accès est grillagé, et des pancartes rouges arborent des têtes de mort : baignade strictement interdite. Dès les premiers jours de l’invasion russe, le 24 février, l’armée ukrainienne a miné l’accès à la mer pour empêcher toute tentative de débarquement.

L’Ukraine ne possède pas de navires de guerre, tandis que la flotte militaire russe est là, tout près. Elle se montre parfois, pour faire peur. Hier, à quelques kilomètres d’ici, un homme a sauté sur une mine devant son fils et sa femme alors qu’il entrait dans l’eau – il s’agissait d’une mine russe, apparemment, qui avait dérivé vers le bord. Ici, tout le monde en parle. Malgré tout, on étale sa serviette sur des plaques de métal ou des planches de bois, en surplomb des étendues de sable.

Je vois des gens s’engager dans un sentier. Je me mets à les suivre et découvre, loin des regards de la police et de l’armée, une plage bondée. Les adultes bronzent, tandis que les enfants sautent dans l’eau. Je les contemple, effaré : inconscience, fatalisme, légendaire indiscipline odessite, irrésistible appel de la fraîcheur et de l’oubli ? Voici la première contradiction que je constate en cherchant ce que vivre en temps de guerre veut dire : face à la possibilité accrue de la mort, même le plaisir a le goût du danger. Carpe diem.

 

Une légende cosmopolite

Cette proximité entre la jouissance et le risque est accentuée par l’identité de cette ville, très particulière. Aux yeux de Vladimir Poutine, Odessa est un joyau qu’il faut éviter de détruire tout autant qu’un objectif de guerre majeur – deuxième contradiction. Avec son million d’habitants, Odessa est un mythe cosmopolite et portuaire. Ses habitants sont réputés pour leur légèreté, leur humour et l’outrance de leurs manières. Isaac Babel, écrivain natif de la cité qui a décrit au début du XXe siècle la pègre juive locale, racontait que les mafieux portaient des complets orange et des bottines framboise au volant d’automobiles dont le klaxon faisait résonner des airs d’opéra. Tout ceci n’est que folklore, les Juifs ayant été décimés et la ville soviétisée pendant soixante-dix ans. Mais, fondée par l’impératrice Catherine II à la fin du XVIIIe siècle, Odessa a un nom grec. Elle a été bâtie par des Espagnols, des Italiens, des Français… La statue du duc de Richelieu, ancien gouverneur de la ville, domine l’escalier immortalisé par Sergueï Eisenstein dans son film Le Cuirassé Potemkine (1925).

Depuis le début de la guerre, le mythe s’est étoffé. La « Pétersbourg du Sud », avec ses palais décrépis et les grues de son port, n’est pourtant plus tout à fait la même. Elle a perdu la moitié de ses habitants, partis dès les premiers jours du conflit se réfugier dans l’ouest du pays ou à l’étranger. De nombreux magasins et cafés ont fermé. Les affiches exaltant l’armée ou la résistance nationale fleurissent. Au lieu des touristes, il y a des dizaines de milliers de déplacés, originaires du Donbass ou du sud du pays, où la guerre dévaste tout. L’alcool est interdit à la vente dès 18 heures, et un couvre-feu est imposé à partir de 23 heures. Certains bâtiments sont protégés par des sacs de sable et des poutrelles métalliques en forme de croix. Il faut passer des points de contrôle pour entrer ou sortir de la ville. Des soldats interdisent l’accès à certaines zones du centre, et il est défendu de photographier le port. Et puis, il y a les sirènes. Durant mon séjour, elles ont retenti presque tous les jours, deux ou trois fois. Parfois, l’électricité saute. J’ai entendu des détonations. Le lendemain, j’ai appris que la défense anti-aérienne avait intercepté des missiles tirés depuis la Crimée occupée. Les Odessites ne vont plus tellement dans les abris et, comme on l’a vu, réussissent même à s’amuser. Mais si, une nouvelle fois, un missile touche un immeuble d’habitation et fait des victimes civiles, ils se presseront à nouveau sous terre.

 

On ne détruit pas un mythe

Odessa est aussi un objectif à part dans la guerre menée par Poutine. Pour le maître du Kremlin, c’est une ville russe, fondée par les tsars, et qui doit naturellement revenir à son pays – ce qui priverait en outre l’Ukraine de tout accès à la mer. À ses yeux, c’est aussi une ville victime de la nouvelle Ukraine qui a tourné le dos à Moscou. En mai 2014, une trentaine de militants pro-russes, après avoir attaqué des supporters pro-ukrainiens, ont péri dans l’incendie de la Maison des syndicats où ils s’étaient réfugiés. Vladimir Poutine, au moment de lancer son offensive sur son voisin, a dit qu’il avait en sa possession le nom des coupables et qu’il comptait bien les punir. Par ailleurs, Odessa est le port d’où partent les exportations de céréales ukrainiennes. Or les navires ne peuvent en sortir sans risquer d’être attaqués par l’armée russe ni mettre la ville en péril. Face à une famine qui sévit déjà dans certains pays d’Afrique et du Moyen-Orient, les regards du monde entier sont donc tournés vers Odessa.

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