Nicolas Bauquet : “Pour faire face au Covid, l’État doit apprendre à faire confiance à la société”

En juin dernier, vous avez publié un rapport pour l’Institut Montaigne (« L’action publique face au Covid ») où vous montrez qu’en France, c’est la défiance larvée entre la société et l’État qui a eu les effets les plus désastreux sur le traitement de la pandémie. Pouvez-vous préciser ce constat ?

Nicolas Bauquet : J’ai interrogé une cinquantaine de personnalités issues du monde de l’entreprise, de la médecine, des collectivités locales et de la haute administration, et étudié les réponses politiques et sanitaires d’une dizaine de pays étrangers, en Europe et en Asie, afin d’avoir un regard comparatif. L’image que j’en retiens est celle de deux univers en miroir qui ne se parlent pas : au sommet de l’État, un petit groupe d’hommes et de femmes qui se sont investis corps et âme dans la gestion de cette crise – certains ont très peu dormi pendant deux mois – et qui ont eu l’impression qu’ils étaient les seuls à agir ; dans la société, on retrouve un nombre important de responsables (chefs d’entreprise, d’école ou d’université, responsables de collectivités locales) qui se sont également démenés sur le terrain et ont eu la même impression d’être livrés à eux-mêmes. Au lieu d’exposer les problèmes et les défaillances – et d’inciter la société à prendre ses responsabilités en connaissance de cause –, l’État s’est ainsi enfermé, pour répondre à la défiance de la société, dans ce que j’appelle « le piège de la verticalité » : il a cherché à décider de tout de manière autoritaire, sans faire confiance à ceux qui, dans la société, pouvaient pourtant agir de façon beaucoup plus efficace et informée. Une sorte de cercle vicieux s’est donc mis en place entre un État qui a le sentiment d’être constamment mis en accusation, soupçonné de ne rien faire ou de mal faire, et une société qui se sent abandonnée alors même qu’elle cultive l’idée que l’État peut tout. Ce qui incite l’État à dire : « Je vais y arriver, je vais vous apporter la preuve que je suis capable de régler la totalité des problèmes ». C’est l’un des éléments les plus frappants au pic de la crise : toutes les décisions remontaient au plus haut niveau. C’est un héritage de la culture jacobine, mais cela tient également à la pression sociale et médiatique qui fait que la moindre erreur va être perçue comme une faillite de l’État. Il y a une suspicion systématique qui fait que l’État n’a pas le droit de se tromper et, du même coup, qu’il ne donne pas le droit à ses agents de se tromper ou de reconnaître qu’ils se sont trompés.