Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher
Cinéma

À quoi ressemble une société sans État de droit?

Cédric Enjalbert publié le 05 décembre 2012 5 min

Ai Weiwei. Never Sorry (lauréat du prix spécial au festival Sundance 2012), c’est l’histoire du surveillant surveillé, ou comment un activiste et artiste contemporain majeur prend le gouvernement chinois à son propre jeu. Ce documentaire, en salles aujourd’hui, est le fruit de la rencontre entre l'artiste chinois Ai Weiwei et la réalisatrice américaine Alison Klayman. Entre art et activisme, performance et dissidence, le film suit le périple d’Ai Weiwei, explorant les usages de la « dissidence numérique », fondée sur la multiplication des images et leur diffusion massive. On y découvre une société disciplinaire néanmoins plongée dans un arbitraire chaotique, où chacun filme et se filme, où surveillés et surveillants se surveillent mutuellement. Un principe simple, que détourne artistiquement Ai Weiwei : chacun doit être amené à imaginer qu’il fait l’objet d’une surveillance ininterrompue.

 

Dans quelles circonstances avez-vous conçu ce documentaire sur Ai Weiwei ?

Alison Klayman : Une fois diplômée de la Brown University [dans l’État du Rhode Island, États-Unis] en 2006, j’ai voulu voyager en quête d’aventures, apprendre une nouvelle langue et essayer de travailler comme journaliste et réalisatrice de documentaires. J’ai fini par aller en Chine et j’y suis restée quatre ans. Pendant ce temps, j'ai appris le mandarin, grâce à de nombreux petits travaux, allant de travailler sur le décor d’un film avec Jackie Chan et Jet Li jusqu’à écrire sur le base-ball pour le site officiel des Jeux olympiques de 2008, à Pékin. Cette même année, je suis devenu journaliste accréditée et j’ai eu la chance de rencontrer Ai Weiwei. 

Ma colocataire à Pékin, Stephanie Tung, organisait une exposition de photographies de l’artiste pour une galerie locale, et elle m’a proposée de réaliser une vidéo en complément de l’événement. Ai Weiwei a apprécié la vidéo, ce qui a ouvert la voie à une relation de confiance. Ces premières semaines de tournage suffisaient à me convaincre que Weiwei était un personnage charismatique et fascinant. Je voulais creuser son histoire, en apprendre plus, découvrir qui il était vraiment, ce qui motivait sa création et son activisme, savoir ce qui lui arriverait. Je pensais également que le public, dans le monde, apprendrait des choses nouvelles sur la Chine en le découvrant.

 

A-t-il été difficile de le suivre en Chine ?

Je n’ai pas rencontré de problèmes, même quand je tournais le film à Pékin, où je vivais et travaillais comme journaliste accréditée. Les moments de tension durant le tournage ont eu lieu durant deux voyages, lorsque j’ai accompagné Ai Weiwei à Chengdu, dans la province du Sichuan, quand il allait déposer plainte pour son agression par la police. Ma première préoccupation a toujours été que mon travail ne mette pas en danger Ai Weiwei et les autres citoyens chinois qui l’accompagnait. J’avais le sentiment qu’ils prenaient un plus grand risque que moi. Ma plus grande frayeur a été la détention d’Ai Weiwei – et je me trouvais alors à New York.

 

Vous montrez clairement qu’en Chine, tout le monde semble filmer et être filmé. Et Ai Weiwei lui-même retourne sa caméra contre le gouvernement. Est-ce une façon de se sécuriser en profitant d’une couverture médiatique tout autour du monde, une façon de dénoncer la surveillance des autorités en se servant de leurs propres moyens ou quelque chose comme une performance artistique ?

De nos jours, des équipements audio et vidéo de bonne qualité sont accessibles pour le consommateur moyen, même sur les téléphones que l’on utilise communément. Il n’y a donc pas d’obstacle à ce que les citoyens rendent compte des évènements – tout ce dont les gens ont besoin, c’est une raison de le faire. Or je pense qu’il y a en Chine une motivation très bien partagée pour rendre compte des évènements, parce qu’il s’agit d’une société où les médias de masse sont sous contrôle. Les citoyens comprennent que certains événements et certains problèmes ont très peu de chance d’être couverts par les grands médias. Ils s’en chargent donc très spontanément (et dans le cas des activistes, très systématiquement) afin de rendre compte et de diffuser l’information. Ai Weiwei est l’un des pionniers de cette mouvance. Ce dissident de l'ère numérique se sert d’Internet et des réseaux sociaux pour toucher des publics plus larges, pour les faire réagir et trouver des canaux plus ouverts afin d’exprimer des opinions qui puissent aller contre la structure dominante de pouvoir.

 

Vous dites qu’Ai Weiwei est, en tant qu’artiste, le message et le média. Qu’est-ce à dire ?

C’est une chose qu’Ai Weiwei dit, lui aussi. Et c’est une façon de reconnaître que le cœur de son travail n’est pas limité à la production d’objets d’art. Sa propre personne, son passé, son présent et son avenir, ses actions et les réactions du public et des autorités, tout informe sa pratique artistique et la façon dont nous comprenons ce qu’il communique.

 

Étonnement, exceptée l’agression de Weiwei par la police, votre film montre de rares expressions directes de violence. En revanche, une tension latente est omniprésente. Quel prétexte les autorités attendent-elles pour agir ? Ont-elles même besoin d’un prétexte, dans la mesure où elles ont tout pouvoir ?

L’une des leçons les plus importantes à retirer sur la Chine, dans ce film, c’est cette affirmation d'Ai Weiwei : les autorités sont « imprévisibles, leurs raisons et leur logique sont imprévisibles ». Ce qui semble étonnant, voire troublant, c’est tout simplement ce à quoi ressemble une société dès lors qu’il n’y a presque aucun État de droit [Rule of law]. Tout le pouvoir est dans les mains des autorités, et elles agissent d’une manière opaque et imprévisible, parfois à dessein, mais il s’agit parfois aussi juste d’un désordre organisé. Je doute que quiconque puisse répondre à cette question de façon définitive, mais c’est certainement pourquoi cette scène est une scène importante qui en dit beaucoup sur Ai Weiwei et sur la Chine.

 

À la fin du documentaire, Ai Weiwei rentre chez lui, après trois mois de détention, sans un mot pour les caméras qui l’attendent. Son activisme a-t-il atteint une limite ?

Aussi talentueux soit-il, Ai Weiwei n’est pas un superhéros. Nous le disions plus haut : le système peut être incroyablement arbitraire et imprévisible, et sa détention en 2011 démontre que les autorités avaient vraiment le désir de l’arrêter. Parmi les récents changements les plus importants dans sa vie, qui ont une influence décisive sur ses choix : son fils. Ai Weiwei est dévoué à l’activisme, mais c’est aussi un homme et nouvellement un père. Sur ce point, les autorités peuvent accentuer la pression afin qu’il reste dans le rang, en le menaçant de l’empêcher de voir son fils grandir.

En outre, Ai Weiwei n’entend pas devenir un martyr. Il sait que sa plus grande contribution au changement de la société ne sera pas d’être jeté en prison, mais plutôt d’utiliser sa créativité et son courage pour produire des œuvres d’art puissantes, de donner des idées aux utilisateurs des réseaux sociaux, etc. Il est donc dans son intérêt de marcher sur un fil afin de prolonger son activisme mais se gardant d’être empêché d’agir. En ce sens, je pense que son action a vraiment atteint une limite.

 

Quelles sont les dernières nouvelles d’Ai Weiwei ?

Les autorités détiennent toujours le passeport d’Ai Weiwei [ce fut le cas jusqu’en 2015 ; depuis, il a quitté la Chine et vécu successivement dans plusieurs pays d’Europe], bien que son année de liberté provisoire sous caution se soit achevée le 22 juin 2012. Il a perdu tous les pourvois en appels contre son contrôle fiscal, si bien qu’il doit encore payer une amende de plus d’un million de dollars, et les autorités lui ont techniquement retiré la liberté financière de travailler. Il est sous une pression et un contrôle de la police bien plus grand que lorsque je le filmais. Il organise des expositions internationales majeures, notamment une à Washington en ce moment, à laquelle il ne peut pas assister. Il continue de croire dans les causes pour lesquelles il s’est battu, cependant. Internet est le meilleur espoir pour promouvoir la libre expression et le changement en Chine. Il est toujours possible de lui écrire à chaque instant sur Twitter, à l’adresse suivante : #aiww, et j’encourage le public à le faire après avoir visionné le film.

 

Ai Weiwei. Never Sorry, documentaire d’Alison Klayman, est sorti en 2012.

Expresso : les parcours interactifs
Faire l’amour
Que fait-on quand on fait l'amour ? Tentons-nous de posséder une part de l'autre, ou découvrons-nous au contraire son mystère, sa capacité à nous échapper sans cesse, faisant redoubler notre désir ?
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Bac philo
2 min
La société
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

La société désigne un ensemble d’individus reliés entre eux par une culture et une histoire. Il est donc abusif de parler de sociétés animales qui ne se perpétuent que par hérédité – non par héritage –, mais pertinent de parler de…


Article
2 min
Le dissident chinois Ai Weiwei retrouve la liberté de voyager
Cédric Enjalbert 30 juillet 2015

L’artiste chinois Ai Weiwei annonce ce mercredi 29 juillet 2015 avoir récupéré son passeport alors qu’une grande exposition consacrée à son œuvre…

Le dissident chinois Ai Weiwei retrouve la liberté de voyager

Article
1 min
Ai Weiwei : l’art-ivisme et la dissidence numérique
24 juin 2013

L’artiste Ai Weiwei, célèbre pour ses bras de fer répétés avec le gouvernement chinois – il a été soumis au printemps 2011 à 81 jours de détention…

À quoi ressemble une société sans État de droit?

Article
12 min
Michka Assayas : “Le documentaire ‘Get Back’ raconte une chose universelle, la fin de l’enfance”
Jean-Marie Pottier 18 décembre 2021

Un trésor de près de 8 heures de long sur le plus célèbre groupe du monde. Tel est le documentaire The Beatles: Get Back, réalisé par Peter…

Michka Assayas : “Le documentaire ‘Get Back’ raconte une chose universelle, la fin de l’enfance”

Bac philo
7 min
Corrigés du bac philo – filière technologique : “Est-il juste de défendre ses droits par tous les moyens ?”
Aïda N’Diaye 15 juin 2022

Lorsqu’on dit qu’on mettra en œuvre tous les moyens nécessaires pour arriver à une fin, par définition, on sous-entend qu’on est prêt pour cela à…

Corrigés du bac philo – filière technologique : “Est-il juste de défendre ses droits par tous les moyens ?”

Article
5 min
Philippe Huneman : “‘Hold-up’ est un tissu de mensonges, mais il exprime quelque chose de vrai”
Ariane Nicolas 18 novembre 2020

Et vous, avez-vous vu Hold-up ? Ce documentaire indépendant, réalisé par Pierre Barnérias et sorti le 11 novembre 2020, ne cesse de faire…

Philippe Huneman : “‘Hold-up’ est un tissu de mensonges, mais il exprime quelque chose de vrai”

Bac philo
2 min
La justice et le droit
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

Si, étymologiquement, la justice et le droit sont très proches (jus, juris, qui donne l’adjectif « juridique »), la justice est aussi une catégorie morale et même, chez les anciens, une vertu. Nous pouvons tous être révoltés…


Article
10 min
Jiang Shigong, le penseur qui inspire Pékin
Nicolas Gastineau 27 septembre 2021

Ce juriste et philosophe chinois, professeur dans la prestigieuse école de droit de l’université de Pékin, est un ardent défenseur de la ligne…

Jiang Shigong, le penseur qui inspire Pékin

À Lire aussi
La catastrophe climatique à feu doux
Par Ollivier Pourriol
Alexis Lavis : “En Chine, la discipline ne se relâche pas”
Alexis Lavis : “En Chine, la discipline ne se relâche pas”
Par Martin Duru
avril 2020
Tiananmen, préfiguration de la Chine actuelle
Tiananmen, préfiguration de la Chine actuelle
Par Cédric Enjalbert
juin 2019
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. À quoi ressemble une société sans État de droit?
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse