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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Carlos Cazalis

Reportage

Mexique. Danse macabre à Iguala

Michel Eltchaninoff publié le 23 mars 2016 21 min

L’enlèvement de quarante-trois étudiants mexicains de l’école normale agraire d’Ayotzinapa, fin 2014, a ému le monde entier. Mais en allant sur place, tout se complique, et l’on découvre un monde où se mêlent activisme révolutionnaire, violence, corruption et trafic de drogue. Enquête sur une réalité politique inédite et cauchemardesque.

« Volveré y serés millones. » C’est le Che qui le dit, le regard halluciné, vide, presque déjà mort. Les ombres noires de son visage se détachent sur le fond turquoise d’un immense pan de mur craquelé. « Quand je reviendrai, vous serez des millions. » Mais pour l’instant, il n’y a personne à part quelques chiens errants. Il est 8 heures du matin à peine et l’école normale agraire d’Ayotzinapa est déserte. On peut visiter tranquillement cet ensemble de béton perdu dans les montagnes du Guerrero, région misérable située entre le port mafieux d’Acapulco et la capitale du Mexique – une contrée que ne conseille aucun guide touristique. En contrebas d’une route déserte, on passe d’abord devant des bâtiments anciens recouverts de proclamations sur l’éducation du peuple. Les écoles normales agraires ont été créées dans les années 1920, époque où l’on nationalisait le pétrole et expropriait les compagnies étrangères. La révolution mexicaine s’inspirait alors de l’Union soviétique. Il s’agissait de former des enfants de paysans illettrés afin qu’ils puissent retourner dans leurs villages et devenir instituteurs. Puis on découvre un campus champêtre classiquement composé de dortoirs, d’un immense préau, de bâtiments administratifs et de salles de cours. Le délabrement est visible, le découragement et le doute palpables. Tant d’idéaux sont pourtant inscrits sur les murs. Ayotzinapa, fidèle à la tradition de la peinture murale politique mexicaine, exhibe en couleur son histoire et ses rêves. Lénine est partout – Trotski, pourtant exécuté sur ordre de Staline à Mexico, nulle part. La geste de la jeunesse rebelle, encadrée des figures de la révolution mexicaine (on les reconnaît à leurs moustaches et à leurs sombreros), s’étale dans tous les styles : épique, naïf, ultraréaliste, psychédélique, folklorique. Mais c’est toujours la même histoire : les étudiants finissent criblés de balles par les policiers. Le peuple se fait tabasser. Les mères pleurent mais ne sont guère épargnées. À l’abri derrière les hommes armés, les bourgeois récupèrent de lourds paquets de dollars. Les têtes de mort hilares et les gueules de requins se glissent un peu partout. C’est l’histoire du Mexique vue par les étudiants révolutionnaires.

 

« 43 », symbole d’indignation

Il faut se rendre dans cette zone située au cœur de la production et du transport de la drogue (80 % de l’opium mexicain en vient) pour mieux comprendre la signification d’un drame qui a horrifié le monde entier. Fin septembre 2014, une cinquantaine d’étudiants de l’école normale agraire sont agressés, sont la cible de coups de feu, puis sont enlevés dans la ville d’Iguala, située à une centaine de kilomètres, sur la route de Mexico. Certains sont tués, l’un d’eux est torturé, quarante-trois disparaissent sans laisser de traces. On arrête rapidement vingt-deux policiers municipaux qui auraient participé à l’attaque et au rapt. Le maire José Luis Abarca Velázquez (Parti de la révolution démocratique, PRD, gauche modérée), dont les liens avec un groupe de narcotrafiquants, les Guerreros Unidos, sont connus (son épouse est la sœur de plusieurs de ses dirigeants), s’enfuit. Le couple est arrêté deux mois plus tard. Le procureur déclare au terme de l’enquête que les étudiants ont été remis par la police municipale aux narcos, qui les auraient assassinés avant de brûler leurs corps dans une déchèterie non loin d’Iguala et de disperser leurs cendres dans une rivière. On retrouve des restes carbonisés dans une commune voisine. Mais on n’a guère pu, jusqu’à maintenant, identifier que deux étudiants. Fin janvier 2015, le ministre de la Justice affirme cependant avoir la « certitude » que les quarante-trois étudiants sont morts.

« Qu’est-ce qui caractérise la réalité politique du Mexique ? »

Un coup de théâtre survient en septembre 2015. Un rapport indépendant, mandaté par la Commission interaméricaine des droits de l’homme, met en doute les conclusions de l’enquête. D’après eux, la crémation aurait demandé soixante heures (et non quatorze comme le dit la version officielle), 30 tonnes de bois, 13 tonnes de pneu, 13 tonnes de diesel. Or il n’y a pas de trace d’un tel brasier sur le site présumé de la crémation. Le rapport pointe également l’absence de réaction des militaires de la caserne d’Iguala et se demande pourquoi le gouvernement mexicain n’a pas autorisé qu’ils soient interrogés. À l’heure où ces lignes sont écrites, on ne sait toujours pas de manière exacte pourquoi on a enlevé ces étudiants, s’ils sont morts ou vivants et qui est le commanditaire. Dans ce pays, pourtant accoutumé aux meurtres collectifs, aux tortures inhumaines et aux disparitions (22 000 personnes depuis 2006), le traumatisme est réel. Des manifestations secouent le pays depuis des mois. Le télégénique président Enrique Peña Neto, élu sur un programme de lutte contre les violences, est sévèrement affaibli. L’ensemble de la classe politique perd définitivement toute crédibilité. Depuis, le nombre « 43 », symbole d’indignation, orne les murs du pays tout entier. Pas une journée sans de nouvelles révélations sur les failles de l’enquête. Mais le gouvernement fait le dos rond et résiste aux scandales. Au fond, rien ne change. Pourquoi ? Qu’est-ce qui caractérise la réalité politique du Mexique ?


© Carlos Cazalis

Le retour de la « dictature invisible »

La réponse est complexe et douloureuse. Tout d’abord, les sentiments de la population vis-à-vis des victimes sont ambigus. Certes, tous les parents du pays se sont sentis concernés. Les victimes, cette fois, ne sont pas des migrants ni des petits soldats du trafic de drogue. Cependant, il y a quelque chose qui cloche : une partie de la société ne porte pas ces étudiants-là dans son cœur, car ce sont des révolutionnaires, des activistes radicaux qui gênent et irritent. Personne ne le dit en son nom propre, mais un grinçant « ils l’ont bien cherché » transparaît de-ci de-là.

Plus profondément, c’est la nature du régime politique mexicain qui est en cause. Le pays a connu sa révolution en 1911. Après une sanglante guerre civile entre religieux et athées, un modèle socialiste – puis de plus en plus libéral – s’est installé, donnant naissance à ce pléonasme vivant qu’est le « Parti révolutionnaire institutionnel » (PRI), qui a gouverné le pays jusqu’en 2000 et qui est de retour aux affaires depuis 2012. Distribuant les places, ce système a engendré ce que l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa a qualifié de « dictature parfaite, parce qu’invisible », quand bien même des mouvements de contestation et des périodes de fragilité et d’alternance ont pu voir le jour : les guérillas et les mouvements étudiants des années 1960, la « transition démocratique » des années 1980, le double sextennat du Parti d’action nationale (PAN, droite libérale) de 2000 à 2012. Second président issu du PAN, Felipe Calderón lance à partir de 2006 la guerre au narcotrafic. Désorganisant le système traditionnel des cartels, cette décision provoque une hausse spectaculaire de la violence entre gangs. Terrorisé, le peuple fait donc revenir le PRI au pouvoir en 2012. Mais la violence ne baisse guère, malgré l’arrestation, en janvier 2016, du baron de la drogue Joaquín Guzmán, dit « El Chapo », évadé de sa prison six mois plus tôt.

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