“Léviathan” : à l’origine de la philosophie politique moderne

Thomas Hobbes. Les dates clés
1588 Il naît à Wesport (Angleterre). Sa mère accouche soi-disant avant terme sous le choc d’une frayeur.
1603 Il entre à l’université d’Oxford, qu’il déteste rapidement.
1635 À Florence, il rencontre Galilée, qui devient un modèle pour lui.
1651 Il publie le Léviathan, écrit depuis son exil en France.
1652 Il se réinstalle à Londres, en même temps que Cromwell prend le pouvoir.
1679 Il meurt à Hardwick Hall. Il aurait voulu inscrire sur sa tombe : This Is The True Philosopher’s Stone (« Ceci est la vraie pierre philosophale »).

« Moi et la peur » : tels sont les jumeaux que la mère de Hobbes enfanta soi-disant le 5 avril 1588 à Westport selon l’autobiographie de l’intéressé. S’il a le sens de la formule, comme il le montrera par la suite, Hobbes a aussi celui du timing. Il s’arrange parfois des dates, prétendant qu’il voit le jour alors que la flotte espagnole s’apprête à aborder les côtes anglaises – l’Invincible Armada n’approche en réalité qu’en juillet 1588. Mais, parfois, il fait mouche, comme en 1651 avec la publication du Léviathan ou matière, forme et puissance de l’État chrétien et civil, écrit en France, où il vit en exil depuis une dizaine d’années. L’illustration placée en frontispice, reprise dans toutes les éditions par la suite, annonce la couleur : on y voit un souverain monumental composé d’une multitude d’individus sans visage, dont la figure surplombe un paysage bucolique où se détache un bâtiment ressemblant à une église. Le tout ressemble à une construction qui, si elle ne terrifie pas comme le suggère la référence au monstre de l’Ancien Testament, suscite le respect. Les pages qui suivent cette ouverture impressionnante détaillent comment et pourquoi s’engager dans la formation d’un tel édifice.

Il est difficile de comprendre le Léviathan et sa portée polémique sans faire un détour par la crise politique et religieuse d’ampleur qui agite alors l’Angleterre. Il est courant d’employer le terme « guerre civile » : ce serait acter que l’Écosse, l’Irlande et l’Angleterre forment alors un seul peuple et un ensemble homogène, ce que les faits démentent, notamment sur le plan religieux. Les monarques anglais successifs ont beau tenter d’unifier l’ensemble de l’île, la couronne est instable. Affaibli, voire humilié par un mouvement victorieux des troupes écossaises à sa frontière en 1640, Charles I^er est en difficulté face à son Parlement. De politique, le conflit vire rapidement au religieux, un député accusant le roi de vouloir secrètement renforcer le catholicisme, assimilé aux intérêts écossais – la religion officielle est alors censée être l’anglicanisme, qui assure l’indépendance de l’Angleterre vis-à-vis du Vatican. Mis à rude épreuve, certains partisans du roi décident de fuir. Des accusations pour haute trahison tombent, provoquant un mouvement de panique chez plusieurs aristocrates et leurs proches, dont Hobbes. Le philosophe est en effet un ami de la famille Cavendish, soutien fervent de la royauté. Membre du cercle intime du deuxième comte de Devonshire, William Cavendish, il est le précepteur de son fils, avec lequel il reste ami toute sa vie. Craignant pour sa tête, Hobbes fait donc voile pour la France, où il travaille à l’essai politique qui le rendra célèbre.