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Affiche de localisation des bureaux de vote. © Laure Boyer/Hans Lucas

Entretien

​​​​​​​Lucille Lacroix : “Bouder les urnes, c’est aussi marquer la fin de l’illusion du politique surpuissant”

Lucille Lacroix, propos recueillis par Clara Degiovanni publié le 10 avril 2022 7 min

Comment retrouver collectivement le goût de l’engagement citoyen ? Pour Lucille Lacroix, enseignante en théorie politique à Sciences Po Paris travaillant sur « la dépolitisation des citoyens », l’abstention dans les urnes marque un rejet de la politique au sens institutionnel et traditionnel du terme. C’est selon elle en parlant du futur que l’on pourra donner, notamment aux jeunes, l’envie de s’engager politiquement.

 

On comptabilise environ 26,5% d’abstention au premier tour de l'élection présidentielle, selon les premières estimations, soit 4 points de plus qu’en 2017. Pourquoi boudons-nous à ce point les urnes ?

Lucille Lacroix : En l’état, on a un système qui fait que les individus ont l’impression que la politique consiste à « aller voter une fois tous les cinq ans », et que c’est le seul pouvoir que l’on peut avoir en démocratie. Ce sentiment d’impuissance est une première cause de l’abstention. Les citoyens ont l’impression de ne servir à rien, de ne pas avoir de prise sur le monde. C’est cette parole des personnes qui ont « décroché » de la politique et de ses discours sur laquelle je travaille en tant que chercheuse. C’est une idée déjà présente chez Marx, pour qui les prolétaires seraient les plus à même de comprendre leur propre oppression car ils peuvent percevoir le décalage entre le discours idéologique dominant et leur expérience vécue. En tant que théoriciens, notre travail est donc d’écouter cette parole et de la réarticuler en évitant toute posture paternaliste. C’est en parlant avec les gens que l’on découvre que cette abstention n’est pas uniquement la preuve d’un éloignement du politique, mais aussi un signe de contestation. Elle révèle alors une conscience politique plus aiguë, et se présente comme une critique parfois sophistiquée du système politique en lui-même, de ses institutions et de la démocratie électorale telle qu’on la pratique actuellement. Parmi ceux qui boudent les urnes et la politique institutionnelle, on retrouve des gens qui s’impliquent autrement, demandent une démocratie participative… Le référendum d’initiative populaire chez les Gilets jaunes en était un exemple. Tout comme le problème de l’abstention, le recul des partis politiques et la perte de vitesse des mouvements syndicaux marquent une défiance envers la politique traditionnelle, non une démission du politique en général.

 

Le sociologue et politologue Bernard Denni explique que les élections sont un moment où le peuple “profane” peut enfin entrer en contact avec le politique “sacré”. Cette distance entre les électeurs et les candidats explique-t-elle l’abstention ?

Au contraire, je pense que les gens ne vont pas voter parce que cette idée-là n’est plus du tout crédible. Nos politiques ne sont plus « sacrés », on ne les voit plus comme des individus distants de nous, inatteignables. Le politicien est un citoyen comme les autres. Bouder les urnes, c’est aussi marquer la fin de cette illusion du politique surpuissant.

“Les gens qui boudent la politique sont souvent ceux qui ont le plus à perdre de leur dépolitisation” Lucille Lacroix

 

Y a-t-il une responsabilité des politiciens eux-mêmes dans cette désaffectation ?

Oui, c’est à mon sens le résultat de ce que j’appelle « la dépolitisation », à savoir, un processus qui consiste à retirer, volontairement ou non, la dimension politique d’un problème. Un des exemples représentatifs de cette tendance, c’est lorsqu’en septembre 2018, Emmanuel Macron enjoint un jeune horticulteur à « traverser la rue » pour trouver un travail. Cette réaction montre qu’il refuse ici de faire du problème du chômage une question collective, d’essence politique. Il individualise totalement la question du retour à l’emploi en considérant que le problème est hors de portée sur le plan politique. C’est ce type de processus qui donne l’impression à certaines personnes que la politique n’est pas faite pour eux, ne s’intéresse pas à ce qui constitue pourtant leur quotidien.

“Il n’y a pas d’engagement politique sans un minimum d’optimisme” Lucille Lacroix

 

Selon une enquête effectuée par le think tank Fondapol, la guerre en Ukraine a eu un impact fort sur les intentions de vote. Pour autant, elle n’a pas augmenté la participation aux élections. Pourquoi, selon vous ?

La guerre en Ukraine a soulevé un ensemble de problèmes géopolitiques : le positionnement de l’Otan, la question du nucléaire, l’Europe… Ces sujets renvoient à la complexification du monde, qui est à mon sens l’autre grande raison du désintérêt pour la politique. La rupture entre le peuple et la politique institutionnelle s’inscrit dans un sentiment d’incompréhension. Nous sommes désemparés face à des enjeux qui nous dépassent.

 

Quelle est la conséquence de cette dépolitisation des citoyens ?

Elle est préjudiciable, parfois dramatique. Sans la dimension politique de l’existence, on perd une part de puissance. Et cette puissance politique est fondamentale ! Être politisé est une manière de se dire que l’on peut transformer les choses. Parmi ceux qui abandonnent complètement la politique, il y en a qui sont tout simplement découragés, voire désespérés. Hélas, ces personnes qui s’éloignent de la politique sont souvent celles qui ont le plus à perdre de leur propre dépolitisation.

“L’abstention n’est pas uniquement la preuve d’un éloignement du politique : c’est aussi un signe de contestation” Lucille Lacroix

 

La politique est-elle inaccessible à certains parce qu’elle est trop abstraite, trop théorique ?

Je pense plutôt qu’en un sens, elle ne l’est pas assez. On se concentre trop sur des micro-questions concrètes, certes importantes, mais qui nous font parfois perdre toute vision globale. Il suffit de voir les tests proposés pour savoir quel candidat est le plus proche de nous : il s’agit de répondre « pour » ou « contre » à des mesures très précises, sans percevoir le projet d’ensemble. On constate certes que beaucoup de candidats veulent faire des réformes, mais pour aller vers quoi ? Cela fait écho à la distinction que l’on fait en philosophie entre « la politique » et « le politique ». « La politique », c’est le côté représentatif, démocratique, institutionnel. « Le politique » est plus philosophique, il renvoie à la question de l’essence : qu’est-ce qui relève du politique ? Il désigne en l’occurrence tout ce qui permet de réfléchir à la construction d’un monde commun. La question est alors : comment les hommes et les femmes se réunissent et se coordonnent-ils pour construire ce monde ?

“La complexification du monde est l’autre grande raison du désintérêt pour la politique. Nous sommes désemparés face à des enjeux qui nous dépassent.” Lucille Lacroix

 

Parmi les absentionnistes, on repère généralement un fort pourcentage de jeunes. Comment expliquer cela ?

Le rejet des institutions traditionnelles de la part des jeunes s’explique par une socialisation politique qui s’est faite dans un contexte ou la méfiance était généralisée. C’est ce qui explique en partie le désintérêt pour les partis politique. 36% des jeunes ne se sent proche d’aucun parti ou mouvement politique, soit 11 points de plus que les personnes de plus de 65 ans. Une génération entière a découvert la politique à travers l’idée que ses représentants étaient corrompus, et qu’il fallait s’en méfier. L’autre spécificité de la jeune génération, c’est une incertitude fondamentale vis-à-vis de l’avenir. Nombre d’entre eux peinent à déterminer leur projet de vie. Non seulement ils se demandent s’ils vont trouver un travail ou réussir à se poser, mais même s’ils y arrivent, il y a ces questions terribles qui planent : « Si j’arrive à faire ce à quoi j’aspire, est-ce que d’ici là, le monde sera toujours là ? Et si oui, dans quel état sera-t-il ? » Cette incertitude crée une forme de tristesse générationnelle et renforce la méfiance vis-à-vis des politiciens, qui échouent souvent à répondre à ces angoisses légitimes. Un vrai discours sur l’avenir permettrait de sortir du dégoût de la politique partagé par certains jeunes. C’est notamment ce que défend la sociologue et politologue Anne Muxel, dans son livre Les Jeunes et la politique (Hachette, 1996) et dans son entretien avec la revue Empan « Les jeunes et la politique. Entre héritage et renouvellement » (in : Empan, 2003/2). Cela passe justement par des questions simples, mais fondamentales qui relèvent « du politique » et non de « la politique » au sens institutionnel. Quelle vision de l’avenir défend-on ? Comment faire pour qu’il soit plus enthousiasmant ?

 

Comment peut naître une volonté de s’intéresser à la politique ?

Pour les jeunes générations, je pense que l’entrée en politique est en général liée à la sortie de l’enfance, et au fait de se dire que les adultes ne s’en sortent pas aussi bien que ce que l’on pensait. En ce sens, l’insatisfaction, et plus largement l’indignation, forment des points d’entrée dans la politisation. C’est ce qu’a théorisé la philosophe américaine Iris Marion Young (1949-2006), spécialiste des études féministes et des théories politiques contemporaines. Selon elle, toute réflexion normative sur la politique parle d’un constat et d’une réflexion sur l’injustice. À ce titre, la politique a changé d’échelle. Avant, elle passait par l’attachement à un parti et à son discours ; à présent, elle commence souvent par cette expérience fondatrice de l’injustice. Celles et ceux qui sont engagés ont maintenant un rapport très personnel à la politique. Elle touche au cœur des individus, à leur identité.

“Une génération entière a découvert la politique à travers l’idée que ses représentants étaient corrompus, et qu’il fallait s’en méfier” Lucille Lacroix

 

La politisation peut-elle aussi venir de la joie, nécessaire au passage à l’action, à l’engagement ?

Les affects en politique, qu’ils soient positifs ou négatifs, sont fondamentaux. L’une des causes du malheur, c’est le sentiment d’isolement provoqué par l’individualisation de la société : les gens se sentent seuls. En s’engageant politiquement, ils peuvent trouver une communauté qui partage leurs valeurs et se dire « on va faire quelque chose pour changer cette situation ». Pour illustrer l’avantage de la politisation, je prends souvent l’exemple de groupes féministes des années 70, en France et en Angleterre. Des femmes qui n’avaient jamais fait de politique se sont retrouvées dans un milieu militant et ont pu expérimenter la joie de l’émulation collective. C’est quelque chose que l’on retrouve aujourd’hui à travers de nombreuses associations militantes. La politisation a quelque chose d’enthousiasmant, elle donne un sentiment de pouvoir, même si elle n’est pas forcément suivie de résultats immédiats. Entrer en politique est une manière de considérer que l’on peut essayer, malgré tout, d’avoir un impact sur le monde. Il faut pouvoir se dire : malgré le rapport du Giec, il y a un espoir d’améliorer les choses. C’est essentiel, il n’y a pas d’engagement politique sans un minimum d’optimisme.

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