Application Elyze : faut-il se fier aux résultats ?
Certains la présentent comme un moyen permettant de réconcilier les jeunes avec la politique. Depuis le début de l’année, une application fait grand bruit chez les moins de 30 ans : Elyze. Sur le principe de l’application de rencontre Tinder, l’utilisateur est invité à donner son avis (d’accord ou pas d’accord) à propos des différentes mesures des candidats à la magistrature suprême. Le programme fait alors une agrégation des résultats et propose une liste des candidats les plus proches des opinions de la personne. Pourtant, des voix s’élèvent contre ce système. Outre des problèmes d’ordre légaux sur la protection des données, la question de la fiabilité et de l’objectivité des suggestions ne va pas de soi. Tentons de comprendre pourquoi avec Hegel.
- Depuis son lancement le 2 janvier 2022, Elyze connaît une expansion fulgurante avec une communauté d’un million d’utilisateurs. En vue de l’élection présidentielle, les créateurs ont ont voulu prendre à bras le corps le problème de l’abstention des jeunes : « Réconcilier une génération avec le vote », selon le cofondateur de l’application Grégoire Cazcarra. Le défi est de taille : selon un sondage Ipsos, plus de la moitié des 18-30 ans envisagent de ne pas aller voter à l’élection présidentielle d’avril 2022. Mais comment faire revenir les jeunes dans l’arène politique ? L’intuition est simple : pour que les jeunes s’intéressent à la politique, il faut que les programmes soient attrayants et présentés avec des outils numériques qui font partie de leur quotidien.
- Néanmoins, une question se pose : peut-on choisir un candidat en fonction d’une agrégation de propositions électorales ? Cette question renvoie à un problème soulevé par Hegel dans sa Phénoménologie de l’esprit (1807). Pour Hegel, il n’y a de vérité que dans le tout et non dans les parties. Les éléments, pris séparément du système qu’ils constituent, n’ont pas de valeur en soi. Hegel prend l’image du cercle pour illustrer son idée : sur la circonférence d’un cercle, chaque point peut être considéré comme le commencement ou comme la fin de la courbe. Il critique ainsi les raisonnements sous forme de chaîne (ce que Descartes appelait « les chaînes des raisons ») car dans cette configuration, chaque élément, à partir d’un axiome, amène, par déduction et de manière ordonnée, à une affirmation ou à un théorème. Or, selon Hegel, ce mode de raisonnement est réducteur car il ne prend pas en compte le fait que chaque élément soit à la fois lui-même et une expression du tout.
- Pour aborder un problème, dit Hegel, il ne faut pas le décomposer en une multitude d’éléments simples, qui permettraient d’aboutir à autant de vérités « claires et distinctes » (Descartes), mais toujours le penser dans sa globalité. Isoler chaque élément donne une vision incomplète et donc fausse de la vérité. Dans La Science de la logique (1812-16), Hegel écrit que « le tout se présente […] comme un cercle de cercles, dont chacun est un moment nécessaire, de telle sorte que le système de leurs éléments propres constitue l’Idée tout entière, qui apparaît aussi bien en chaque élément singulier. » Pour reprendre une métaphore optique, la vérité est un kaléidoscope, bien plus qu’un microscope ou qu’une lentille permettant de corriger la vision.
- Cette conception révolutionnaire de la vérité se veut aussi plus dynamique et mouvante. Hegel s’appuie sur une légende juive pour montrer que la vérité doit être totale si elle veut être vivante et non morte. Au XVIe siècle, le Maharal de Prague, Rabbi Loeb, confectionna un géant d’argile aux réactions humaines – le célèbre Golem. Sur son front, il est inscrit trois lettres hebraïques : « EMeT » (אמת), signifiant « vérité. » En enlevant une seule lettre, le maître de l’automate réduisait son serviteur à néant : « MeT » (מת), signifiant la mort. Enlevez un élément du tout, et le tout perd son sens premier.
- Quel rapport entre le système hégélien et l’application Elyze ? On peut en tirer un enseignement : une mesure politique n’a pas de valeur en soi, d’autant qu’il arrive souvent qu’une même mesure ait des implications politiques opposées. Prenons l’exemple des éoliennes. Pour le candidat communiste Fabien Roussel, pro-nucléaire, il ne faut pas généraliser leur installation car les éoliennes ne sont pas capables de résoudre la crise climatique ; pour le candidat d’extrême-droite Éric Zemmour, la gelée des installations d’éoliennes s’inscrit dans une logique esthétique de préservation des paysages. Conclusion : Elyze ne parvient pas à saisir l’esprit qui motive tel ou tel choix. Il existe bien un biais dans cette application qui peut conduire à une mauvaise appréciation de la « philosophie » plus générale des programmes politiques. Hegel aurait sûrement donné ce conseil : ne suivez pas nécessairement le résultat qui s’affiche sur votre écran !
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