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Élections

L’abstention : une prise de parole silencieuse ?

Nicolas Gastineau publié le 28 juin 2021 4 min

Refus d’obtempérer. Avec 65,7% d’abstentionnistes au second tour des élections régionales (source : France Info – Ipsos/Sopra Steria), le parti de ceux qui ne votent pas est la force majoritaire de la vie politique française. Mais peut-on parler de force, quand son mode d’action est… l’inaction ?

Dans Exit, Voice, and Loyalty (Harvard University Press, 1970, paru ici en traduction française), l’économiste Albert Hirschman propose trois catégories pour comprendre la manifestation d’un mécontentement : exit (la défection), voice (la prise de parole) et loyalty (la loyauté). Loin d’en faire une séparation étanche, Hirschman montre que ces réactions sont liées et que, quand la défection est impossible, la parole devient sa seule source d’expression. L’abstentionniste ne veut visiblement plus participer au processus électoral, mais peut-il intégralement s’extraire de la politique ? Son abstention – la tentation d’un exit – se transforme alors en parole silencieuse et contestataire.

Les trois réactions

Plus précisément, dans Exit, Voice, and Loyalty, Albert Hirschman propose une typologie des trois réactions d’un usager face à la dégradation d’un service. Bien qu’il se place du point de vue d’un consommateur, donc, Hirschman prévient que son modèle s’étend aussi aux organisations au sens large, les syndicats, les partis politiques ou même l’État. La première façon de signaler son mécontentement est l’exit, la défection : si le service se détériore, je cesse d’acheter le produit, ou je ne renouvelle pas ma carte de membre. La seconde, c’est la voice, la prise de parole : je manifeste mon insatisfaction en écrivant au service client, en descendant dans la rue pour protester. Je ne renonce pas à l’usage du service mais œuvre bruyamment à son amélioration. La troisième, c’est la loyalty, la loyauté : je décide de ne rien dire, je reste fidèle à ce bien en dépit de sa détérioration.

Exit et voice ne sont pas des opposés

Mais le plus intéressant dans l’analyse d’Hirschman se révèle quand les catégories de la défection et de la prise de parole s’enrichissent mutuellement. Par exemple, explique l’économiste, la défection est souvent perçue par les libéraux comme le comportement économique le plus naturel, quand la prise de parole serait politiquement vertueuse – puisque porteur de l’idée de délibération démocratique. Pourtant, dit-il, l’apathie de nombreux citoyens n’a pas empêché la démocratie américaine de fonctionner. Mieux, « l’échec ordinaire de la majorité de la population à utiliser à fond ses ressources politiques potentielles lui donne la possibilité, quand ses intérêts vitaux sont directement menacés, de réagir avec une surprenante vigueur ».

Bref, la prise de parole peut acquérir une force décuplée si, au lieu de la diluer dans de constantes interventions, le corps citoyen se mobilise d’un seul coup, réveillant soudainement des réserves de pouvoir politique jusque là endormies. Autrement dit, la défection, l’inertie apparente des abstentionnistes, peut être un détour par lequel leur prise de parole gagne paradoxalement en puissance. Hirschman avance même l’idée qu’un « mélange de citoyens alertes et inertes, ou même une alternance d’engagement et de retrait, ser[ve] la démocratie mieux qu’un activisme permanent ou qu’une complète apathie. » Bref, jouer de l’exit et du voice, de la défection et de la prise de parole, peut devenir une stratégie efficace. Les presque 66% d’abstentionnistes des élections régionales ne couvent-ils pas, en ce sens, un prodigieux pouvoir endormi ?

L’abstention : une prise de parole silencieuse ?

La différence entre le politique et l’économique, c’est qu’avec le premier, la défection totale est impossible. On peut quitter un parti, on peut cesser d’acheter une marque pour se tourner vers un concurrent, mais il est difficile de concevoir la défection par rapport à la vie publique : il faudrait pour cela quitter le pays, cesser de payer l’impôt et ne plus participer aux services publics. Pour que la défection soit possible, il faut la présence d’une alternative ; d’où l’importance, en économie, d’éviter les situations de monopole. Or, comme l’État n’a sur son sol pas de concurrent politique, il condamne la défection à l’impasse. Et dans le cas où la sortie est impossible, Hirschman explique que la prise de parole devient sa solution de repli, il devient un « exit résiduel », la continuation de son esprit par le dernier moyen disponible. Il y a dans l’abstention quelque chose de cet ordre. Le refus de voter indique la volonté de ne plus en être, de signaler son mécontentement par une défection. Mais comme, même abstentionniste, je suis encore partie prenante de la société, mon abstention ne peut se réaliser comme défection et reste encore une prise de parole : on compte d’ailleurs son score, on cherche à en interpréter la signification. L’abstention n’est pas toujours le négatif de la participation politique : il peut aussi en être une parole muette et contestataire. Quand les observateurs des élections régionales tentent de comprendre l’abstention de gauche et celle de droite, d’en trouver l’intention et la signification politique, ils reconnaissent bien la défection des abstentionnistes pour ce qu’elle est en réalité : une prise de parole silencieuse.

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