Hors-série "Platon"

Le savoir peut-il guérir 
la politique ?

Martin Legros publié le 30 avril 2023 6 min

En préconisant que les philosophes prennent le pouvoir, Platon rompt frontalement avec l’expérience démocratique qui permet à tout citoyen, indépendamment de ses compétences, de participer à l’exercice de l’autorité politique. Ne s’est-il pas adressé à un tyran lorsqu’il s’est engagé en politique ? Pourtant, en exigeant que la politique se fonde sur un savoir et prenne « soin de nos âmes », Platon a en même temps légué à l’Occident une tâche toujours actuelle…


 

« Tant que les philosophes ne seront pas rois, ou que ceux qu’on appelle aujourd’hui rois et souverains ne seront pas vraiment et sérieusement philosophes, il n’est point de remède aux maux qui désolent les États ». Si cette célèbre formule de La République fait de la Cité idéale de Platon une utopie – n’est-il pas tout aussi improbable que les philosophes prennent le pouvoir ou que les gouvernants se convertissent à la philosophie ? –, elle fait aussi du savoir le seul véritable remède aux maux de la politique.
 

Au moment où il émet cette proposition, Platon ne peut ignorer qu’elle heurte de plein front l’expérience démocratique athénienne qui s’est instaurée en rupture avec le modèle archaïque de la royauté encore à l’œuvre en Perse, le grand rival politique d’Athènes, mais également avec l’idée qu’il faudrait disposer d’une expertise pour exercer le métier de citoyen. Les institutions de la Cité ne sont en effet pas seulement fondées sur l’isonomie, l’égalité devant la loi, et l’iségorie, l’égalité de parole, mais sur le principe de la rotation des charges, qui exclut que le pouvoir soit accaparé par une seule personne, fût-elle la plus sage. Comme le souligne Aristote dans La Politique, en cela bien plus fidèle à l’expérience démocratique, ce qui distingue l’autorité politique de toutes les autres formes d’autorité (du maître sur l’esclave, du père sur l’enfant ou du professeur sur l’élève), c’est qu’elle s’exerce sur des hommes libres et qu’elle est réversible. Reprenant une maxime de Solon, le fondateur de la démocratie athénienne, Aristote affirme qu’« on ne peut bien gouverner si l’on n’a pas été gouverné soi-même » (La Politique, III, 4).

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