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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Capture d'écran du compte Instagram du collectif La Ronce © DR

Analyse

Le sabotage pour sauver la planète ?

Octave Larmagnac-Matheron publié le 02 décembre 2020 4 min

55 000 paquets de sucre éventrés : récemment, le collectif écologiste La Ronce a mobilisé 2 000 de ses membres – les « épines » – pour monter une opération d’ampleur contre l’industrie sucrière, accusée d’avoir fait pression sur le gouvernement français pour obtenir la réautorisation des pesticides néonicotinoïdes. Une forme assumée de sabotage coordonné, que le mouvement revendiquait dès octobre, dans un texte-manifeste. 

L’objectif : promouvoir des « actions décentralisées, simultanées, pertinentes, faciles, drôles ou pas, aux risques légaux très limités » ; inventer « des gestes simples et peu risqués qui empêcheraient leurs 4x4 de rouler, leurs pubs de s’afficher, des gestes qui dégraderaient suffisamment l’emballage de leurs produits pour qu’ils ne puissent plus les vendre. […] Un petit geste pour la planète qui, s’il était reproduit par des centaines de milliers de personnes en même temps, partout, en ciblant un produit ou une marque en particulier, auraient un impact financier tel que nous ferions plier la multinationale qui le fabrique. Ou a minima, lui faire perdre des plumes. » 

Et de présenter le sabotage comme un passage nécessaire pour la lutte écologiste : « J’ai trop peu de pouvoir et ceux qui en ont ne font pas face. » Nous sommes, selon les « saboteurs », des rouages d’une immense machinerie qui détraque la planète, mais sur laquelle nous n’avons pas de prise. Mais justement : le sabotage serait peut-être, comme le montrent les penseurs de l’anarchisme, le geste fondamental qui permet d’enrayer l’inertie des grandes structures. Une idée anarchiste remise au goût du jour. 

  • « Les procédés de sabotage sont variables à l’infini », affirmait l’essayiste anarchiste Émile Pouget dans Le Sabotage (1911). De la détérioration illégale des machines de production, pratiquée par les luddites dès le début du XIXe siècle à la méthode du tire-au-flanc qui en fait le moins possible, en passant par la destruction des marchandises et la technique du zélateur « surlégal » qui fait des règles appliquées avec un scrupule excessif « l’instrument du désordre qu’elles sont censées conjurer ». Le sabotage est une notion protéiforme qui évolue sans cesse. « Il y a toujours matière à invention, que ce soit dans les failles du règlement ou dans ses excès », relèvent les philosophes Grégoire Chamayou et Mathieu Triclot, dans leur commentaire du texte de Pouget.
  • Comment définir, alors, le sabotage ? Pour Pouget, le sabotage est d’abord une pratique de résistance : celle des travailleurs aliénés à un système de production qui extorque leur travail. « Pour les ouvriers dont le travail est exploité, “saboter”, c'est enrayer la machine de production. […] Pris dans l’engrenage, […] les travailleurs frappés subissent les exigences nouvelles du capitaliste. Avec le sabotage, il en est tout autrement : les travailleurs peuvent résister ; ils ne sont plus à la merci complète du capital ; ils ne sont plus la chair molle que le maître pétrit à sa guise. » Le développement du capitalisme a, bien entendu, accentué cette aliénation des travailleurs – et leurs résistances –, mais, à vrai dire, « le sabotage est aussi vieux que l'exploitation humaine ! » Il existait bien avant la théorisation du sabotage comme outil de lutte – Pouget parle de sabotage « inconscient ».
  • Le trait distinctif du saboteur, c’est qu’il se sent prisonnier d’une machinerie, d’un engrenage, d’un système qui le dépasse et dont il est incapable d’entrevoir comment il serait possible de l’abolir. À défaut de l’abolir, reste la possibilité d’enrayer son fonctionnement, de le contraindre à faire une pause. Comme le notent Chamayou et Triclot, « le saboteur sait que tout fonctionnement porte en lui la possibilité de la panne. Les grandes machineries sont vulnérables, il suffit de trouver le point où ça coince. C’est la première figure du sabotage, le grain de sable dans la machine », l’épine de ronce dans la chaussure. « Pour un minimum d’effort, le maximum d’effets. » Les grandes structures sont moins robustes qu’il n’y paraît, pour qui comprend leur fonctionnement : « Le saboteur doit avoir une connaissance parfaite du procédé […] Il mobilise le savoir technique qu’il a acquis dans son travail. Il le détourne. »
  • Parce qu’il est un acte de résistance, le sabotage est d’abord une « pratique spontanée » plus qu’une stratégie concertée de lutte. Saboter, c’est redonner un sens à l’acte personnel, contre l’écrasement des individus par la machinerie des structures, comme le montre Jacques Ellul, dans Anarchie et Christianisme (1988) : « Cette désinstitutionnalisation ou encore cette volonté de destructuration a une importance incalculable pour notre société. […] S’il est vraiment impossible de lutter contre cette abstraction et cette bureaucratisation, alors il faut envisager le sabotage. Si l’institution est devenue tellement dure, sacrée, sclérosée qu’il n’y a aucune possibilité de jeu, seule une action aberrante peut redonner vie et mouvement à ce qui est étouffé. » Le sabotage n’est pas, pour Ellul, limité à la sphère des luttes ouvrières : il est, par excellence, l’acte d’ébranlement (en provençal, sabotar, « agiter ») des pesanteurs ; il introduit une rupture (ronce dérive d’ailleurs, étymologiquement, de l’indo-européen *reu, qui a donné « rompre »).
  • Véritable « contre-discipline » qui entend « diminuer les forces du corps en termes économique d’utilité et majorer ces forces en terme politique de désobéissance » (Chamayou et Triclot), le sabotage prend tout son sens dans les luttes écologiques : quelle que soit leur bonne volonté (soyons optimistes !), l’État et les entreprises sont paralysés par leur propre inertie bureaucratique, si bien qu’il devient presque impossible de les réformer. Seule possibilité, selon ces penseurs : une résistance par le bas, par une action localisée. Brigitte Gothière, cofondatrice de l’association L214 affirmait ainsi, récemment : « pour moi, quand on parle de sabotage, cela signifie mettre les bâtons dans les roues d’un système dont on n’a pas les clés pour l’attaquer frontalement. »
Ne sabotez pas votre lecture et lisez Proudhon, père de l’anarchisme
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