Slavoj Žižek : “Ne me demandez pas de ‘vivre avec’”
Intervention. Dans la tribune qu'il a tout récemment signée sur notre site, le philosophe Maurizio Ferraris s'élève contre l’idée qu’il nous reviendrait de « sauver la planète ». Nous donnons aujourd’hui la parole à Slavoj Žižek, et – hasard des choses : son texte fait tant et si bien écho aux problématique soulevées par Ferraris qu’il nous parvient presque en guise de réponse au premier. D'après lui, nous ne faisons pas que détruire la nature : « Nous donnons naissance à une nouvelle nature dans laquelle nous n’aurons pas notre place. » Et le philosophe de proposer un programme de justice révolutionnaire, à base de volonté, d’égalité et de confiance dans le peuple, mais aussi… de terreur. À problèmes extraordinaires, solutions extraordinaires !
« Les derniers mots que profère Big Boss en mourant dans le jeu vidéo Metal Gear Solid 4 : Guns of the Patriots sont aujourd’hui plus appropriés que jamais : “Il ne s’agit pas de changer le monde. Il s’agit de faire de notre mieux pour le laisser tel qu’il est.” Appropriés, à une différence près : avec la sécheresse, les feux de forêts et le virus qui empoisonne notre vie quotidienne, avec la pauvreté qui résulte des nouvelles richesses, nous ne pouvons que radicalement changer le monde si nous voulons nous donner au moins une chance de le laisser tel qu’il est. Si nous ne faisons rien, notre monde va rapidement devenir méconnaissable pour ses habitants. Or pour le moment, nous ne faisons quasiment rien. Tous les accords sur des mesures destinées à lutter contre le réchauffement climatique ne font que masquer cette inaction : “Au cours des dix dernières années, le monde n’a pleinement réalisé aucun des objectifs visant à juguler la destruction de la vie sauvage et des écosystèmes indispensables à la vie, selon un rapport accablant des Nations unies sur la biodiversité.” Ne prenons qu’un seul exemple frappant : celui des incendies qui ravagent la végétation à l’ouest des États-Unis. Mike Davis, qui étudie le phénomène, rappelle : “À la fin des années 1940, les ruines de Berlin sont devenues une sorte de laboratoire dans lequel les naturalistes ont étudié la repousse des végétaux après trois ans de bombardements incessants. Ils s’attendaient à ce que la végétation originelle de la région – des forêts de chênes et leurs sous-bois – réapparaisse rapidement. Mais pour leur plus grand désarroi, ce ne fut pas le cas. Au lieu de cela, des végétaux exogènes, dont la plupart n’existaient pas en Allemagne, ont pris le dessus. La persistance de cette végétation de zone morte et l’incapacité des plantes de la forêt poméranienne à se réinstaller firent l’objet d’une recherche intitulée ‘Nature II’. L’idée de départ était que la chaleur extrême produite par les incendies et la pulvérisation de structures de briques avaient créé un nouveau type de sol qui facilitait la colonisation par des plantes telles que l’ailante (aussi appelée ‘faux vernis du Japon’), originaires des moraines de la calotte glaciaire du Pléistocène. D’après ces scientifiques, une guerre nucléaire totale pourrait reproduire les mêmes conditions sur une très grande échelle ! Après les incendies du ‘samedi noir’ dans l’État de Victoria, au début de 2009, les scientifiques australiens ont calculé que l’énergie dégagée par ces feux était équivalente à l’explosion de 1 500 bombes de la taille de celles qui ont été lancées sur Hiroshima. Les tempêtes de feu qui sévissent actuellement dans les États du Pacifique sont encore bien plus importantes. Nous pourrions donc comparer leur pouvoir de destruction aux mégatonnes de centaines de bombes à hydrogène. Une nature nouvelle et terriblement sinistre est en train de croître sur les restes des incendies aux dépens des paysages que nous considérions auparavant comme sacrés. Nul ne peut réellement imaginer la vitesse ou l’ampleur de cette catastrophe.”
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