Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

(cc) Unspash / Tom Roberts

Politique

Véronique Bergen : “La philosophie nous arme afin de résister aux forces de destruction”

Ariane Nicolas publié le 15 mai 2018 6 min
La philosophe Véronique Bergen, auteur d’un essai sur “Résistances philosophiques” (PUF, 2009), invite à voir dans les mouvements de contestation et de lutte plus qu’une opposition. Elle souligne la dimension “affirmative” de ces résistances, que la philosophie fortifie.

Grèves, ZAD, lutte contre le terrorisme... Pourquoi l'époque semble-t-elle éprise de « résistance » ?

Véronique Bergen : Tout d’abord, je ne placerai en aucun cas la lutte contre le terrorisme du côté des formes de « résistance » que vous mentionnez. Aucun trait commun ne peut être tiré entre mouvements de grèves, zadistes et lutte officielle, étatique et interétatique contre le terrorisme. La résistance se définit au minimum par une sécession par rapport à l’état de choses, mais aussi par rapport à l’État ou ce qui en tient lieu.

Comment dépasser la valence « réactive » de la violence ? Là où l’on a souvent caractérisé la résistance par un geste de riposte, de refus de l’oppression et des formes de domination, il faut y voir également une dimension affirmative, un pari pour un autre présent, une proposition de modes de vie, de penser, d’exister alternatifs à ce qui est proposé et ressenti comme liberticide. Le sentiment de vivre des conditions insupportables qui rétrécissent les possibles se pose comme la base de toute résistance.

L’époque n’est pas éprise de résistance. Depuis les années 1980 et avec un crescendo brutal, elle a à ce point creusé les inégalités économiques, bafoué le pacte social, défait les garanties démocratiques qu’elle contraint à la résistance, à l’invention d’issues. Tout pouvoir sécrète un contre-pouvoir. La résistance répond à la logique d’un contre-feu à ce qui asphyxie.

 

« La résistance passe aussi par le langage »

La résistance implique-t-elle nécessairement un passage à l’acte, une résistance du corps ?

Il n’y a pas de résistance au sens d’un refus d’une situation ressentie comme intolérable, menant droit à la catastrophe, sans montée des corps sur la scène de l’histoire. Quant aux façons dont le corps exprime un « non » et tend vers une autre configuration du champ social, elles vont de la prise de conscience au militantisme, de l’opposition théorique à l’engagement physique, que ce dernier opte pour la légalité ou qu’il choisisse la voie illégale, pacifique ou non. Elle est à chaque fois une procédure de subjectivation mue par un désir d’émancipation, par la volonté de lutter contre l’assujettissement des libertés, contre ce qui nous détruit.

La résistance passe aussi par le langage. Réifier les consciences suppose entre autres la réification du langage : c’est le b.a.ba de toute novlangue et de la novlangue actuelle. Résister va de pair avec l’expérimentation d’un langage se démarquant de la novlangue officielle qui, désireuse de contrôler les individus, dénature précisément des termes comme « résistance », « révolution », en les accolant à des réalités qui les bafouent.

 

Résister est-ce seulement s’opposer ?

Cantonner la résistance à son « non », à son refus de la situation donnée, c’est l’amputer de sa proposition affirmative, une affirmation à laquelle, certes, tous les mouvements d’insurrection n’adhèrent pas. Certaines formes d’insurrection privilégient la dimension déconstructrice, la phase critique.

 

À quoi tient que certains s'engagent et résistent, d’autres pas ?

Au nombre des facteurs déclencheurs, catalysant la résistance, on pointera le « du possible sinon j’étouffe » de Deleuze, le sentiment, la pensée d’une asphyxie, d’un amoindrissement des possibles existentiels confisqués par une logique étatique. Face à une situation ressentie comme intolérable, certains ripostent par la mise en œuvre d’un front de refus, animés par le pari pour au autre monde (au niveau local), pour une réappropriation de leur existence. D’autres n’ont plus la force, avalés par la résignation, découragés, submergés par un sentiment d’impuissance. D’autres encore ont intériorisé en impératif catégorique une servitude volontaire ou bien, bénéficiant des émoluments du système, travaillent à sa perpétuation, aussi inique et mortifère soit-il. Le mystère de l’engagement (et de son absence) au niveau individuel mais aussi collectif, Sartre n’a cessé de l’interroger.

 

« Les défaites passées pavent la voie aux victoires futures, comme le disait Rosa Luxemburg »

Résister, n'est-ce pas déjà l'aveu d'un échec, celui de la lutte ?

La résistance dévoile au contraire l’échec d’un système, d’une conjoncture, d’un état de choses qui refuse d’en passer à l’aveu de sa faillite. Le schème de l’échec des luttes, des révolutions trahies, a priori perdantes, n’est qu’une ruse du système afin de tuer dans l’œuf toute tentative de résistance. Les défaites passées pavent la voie aux victoires futures, comme le disait Rosa Luxemburg. La réécriture de l’Histoire accentue les défaites des luttes populaires, comme pour enliser dans le fatum de l’échec tout sursaut en vue de l’émancipation de tous, en vue de la liberté et de l’égalité pour tous.

 

La « résistance à l'oppression » est inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Pensez-vous que le droit de résister soit garanti ?

La résistance à l’oppression figure au nombre des droits naturels aux côtés de la liberté, de la propriété et de la sûreté et reconnaît aux gouvernés le droit de contrer les excès commis par les dirigeants. Reposant sur une convention, ayant une origine humaine, fondé autour d’un vide, le pouvoir peut être contesté lorsqu’il dérive dans l’arbitraire, le despotisme. Les gouvernants sont susceptibles d’être déposés, démis de leur fonction s’ils ne respectent pas le jeu « démocratique ». Si ce droit est reconnu formellement, il s’est trouvé de tout temps mis à mal, voire nié. Aujourd’hui, il est plus que jamais contesté dans les faits.

Ce qui ne laisse pas de surprendre, c’est le phénomène suivant. Alors qu’actuellement la violence du système, de ses appareils est extrême, alors que bien des garde-fous démocratiques volent en éclats (société de contrôle généralisé, destruction sauvage des acquis sociaux, ubérisation du travail, destruction de l’école, affaiblissement progressif du pouvoir législatif, sort des migrants, mise en danger du bien-être, de la santé des citoyens par une politique alimentaire, humanitaire, écologique désastreuse, irresponsabilité et cynisme de politiques qui, soumis aux multinationales, aux lobbies, aux climatosceptiques, diffèrent la mise en œuvre d’une réponse responsable face à la crise environnementale, au réchauffement climatique, etc.), on hurle au scandale quand des sursauts de colère se produisent, quand des formes de contestation se mettent en place. Il est de bon ton de stigmatiser leurs débordements, leur spirale quand ils réagissent à une violence érigée en système. Le paradoxe est là. La violence dite légitime des États, la violence des oligarchies financières est décrétée intouchable tandis que les émeutes sont criminalisées, ravalées au rang de délits de droit commun afin de leur ôter toute portée politique.

 

« Nous sommes entrés dans un régime post-démocratique »

Est-ce une façon de légitimer l’autodéfense en politique ?

Pour couper court et répondre à l’objection qu’on énonce à chaque fois qu’on met un nom sur ce décalage (et ce, en vue d’en interroger les origines, le moteur), il ne s’agit nullement de faire l’apologie de la violence insurrectionnelle mais de pointer l’affrontement entre une violence exercée par les États et un refus de subir celle-ci. Nous sommes entrés dans un régime post-démocratique, on assiste à la mise en pièces des institutions de la République, au creusement des inégalités économiques, à une paupérisation d’une partie de plus en plus importante de la population. 1% de la population écrase, dirige 99% des gens, 1% décide de la marche du monde et le précipite vers sa faillite. Comment rester confiant dans les vertus du dialogue, dans  les mécanismes participatifs, représentatifs ? La violence est là : les États, en France, la République, ont été transformés en entreprises, la politique est devenue de la gestion, du management, une plateforme du capital. La répression de toutes les formes de résistance, des zadistes de Notre-Dame-des-Landes, des collectifs autogérés des communautés autonomes dévoile que le pouvoir craint plus que tout les expériences de sécession, les choix de modes de vie alternatifs dès lors qu’ils échappent à son emprise et montrent que d’autres manières de penser, d’exister sont non seulement possibles mais souhaitables.

 

« Quand l'État est injuste, la place d'un homme juste est en prison », écrit Thoreau, une phrase reprise par certains zadistes et étudiants. Est-ce vrai ?

J’acquiesce totalement à cet énoncé.

 

À quoi la philosophie permet-elle de résister ?

Je reprendrais la réponse de Deleuze : à la bêtise. Une bêtise entendue lato sensu comme tout ce qui étouffe les libertés, comme ce qui emprisonne les corps et les consciences. La philosophie nous arme afin de résister aux forces de destruction. Qu’elles montent du dedans ou du dehors.

Expresso : les parcours interactifs
L'étincelle du coup de foudre
Le coup de foudre est à la charnière entre le mythe et la réalité. Au fondement du discours amoureux, il est une expérience inaugurale, que l'on aime raconter et sublimer à l'envi.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Article
4 min
Être, c’est résister
Juliette Cerf 17 septembre 2012

Philosophe de formation, connue pour son œuvre romanesque et poétique, Véronique Bergen prône une ouverture au champ des possibles, aux figures et…

Être, c’est résister

Article
4 min
“L’enfer, c’est les autres” : quand Beauvoir contredit Sartre
Octave Larmagnac-Matheron 22 janvier 2022

« L’enfer c’est les autres », écrivait Jean-Paul Sartre. Une campagne récente de la Fondation Abbé Pierre, elle, corrige la citation…

“L’enfer, c’est les autres” : quand Beauvoir contredit Sartre

Article
10 min
Pierre Ducrozet : “Deleuze est un moteur pour la création”
Victorine de Oliveira 14 janvier 2021

Gilles Deleuze est l’un des philosophes qui a le plus écrit sur la littérature. En retour, il inspire nombre de romanciers. Parmi eux, Pierre…

Pierre Ducrozet : “Deleuze est un moteur pour la création”

Article
3 min
Deleuze et le nomadisme
Octave Larmagnac-Matheron 14 juin 2021

Les gens du voyage font partie des personnes les plus discriminées en France. Et pourtant, les injustices dont ils sont victimes font rarement l…

Deleuze et le nomadisme

Article
4 min
Le cristal temporel, de Deleuze à Google
Octave Larmagnac-Matheron 30 août 2021

Google a récemment annoncé avoir réussi à créer un « cristal temporel », système physique répétant incessamment la même série de…

Le cristal temporel, de Deleuze à Google

Article
5 min
Quand Deleuze louait l’“exquise légèreté” des taches de rousseur
Joséphine Robert 31 mai 2022

Autrefois camouflées sous du fond de teint, les taches de rousseurs sont aujourd’hui le nec plus ultra de la mode. Le hashtag #fakefreckles (…

Quand Deleuze louait l’“exquise légèreté” des taches de rousseur

Article
5 min
“Sur la peinture”, les cours inédits de Deleuze présentés par son éditeur
Victorine de Oliveira 24 octobre 2023

Faire lire Deleuze comme si vous l’entendiez, c’est le défi qu’a relevé David Lapoujade, professeur à Paris-1-Panthéon-Sorbonne et éditeur aux…

“Sur la peinture”, les cours inédits de Deleuze présentés par son éditeur

Article
3 min
Sartre à Billancourt
Sven Ortoli 27 novembre 2021

À l’automne 1970, Jean-Paul Sartre, juché sur un baril, fait un discours à la sortie des usines Renault à Billancourt. Haut lieu de la grande…

Sartre à Billancourt

À Lire aussi
Récits de philosophes en guerre (2/2) : Sartre, Weil et Levinas
Récits de philosophes en guerre (2/2) : Sartre, Weil et Levinas
Par Octave Larmagnac-Matheron
mars 2022
Parler, est-ce renoncer à (bien) voir ?
Parler, est-ce renoncer à (bien) voir ?
Par Tania Sanchez
juillet 2022
L’affaire Gilles Deleuze: un projet philosophique qui pose problème
L’affaire Gilles Deleuze: un projet philosophique qui pose problème
Par Daniel Adjerad
janvier 2016
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Véronique Bergen : “La philosophie nous arme afin de résister aux forces de destruction”
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse