Le cosmolocalisme, c’est quoi ?
Vous avez peut-être vu passer la notion dans vos fils d’actualité. La notion de cosmolocalisme s’invite dans le débat public autour de l’écologie. Retour sur un concept né il y a trois décennies.
Comprendre la logique du cosmolocalisme (ou localisme cosmopolite) suppose de comprendre le problème auquel la notion cherche à remédier, à savoir : les effets délétères de la mondialisation économique qui, dans sa version capitaliste, engendre une homogénéisation des cultures et des sociétés. Cette homogénéisation, critiquent les cosmolocalistes, s’accompagne d’une aliénation des communautés humaines à des logiques économiques internationales abstraites, fondées sur une division du travail et une production de biens détachés des besoins locaux réels qui nourrissent une croissance effrénée à la racine de la crise écologique.
Glocalisation vs. cosmolocalisme
Contre ces tendances, le sociologue Wolfgang Sachs propose, dans The Development Dictionary: A Guide to Knowledge as Power (1992), un recentrement de la question du développement : une relocalisation, une réinscription des dynamiques économiques de production et de consommation dans les problématiques concrètes d’un territoire déterminé, d’un lieu. C’est de ce lieu qu’il faut partir. Ce recentrement distingue le cosmolocalisme de la glocalisation. Théorisée notamment par le sociologue Roland Robertson, la glocalisation met en exergue « l'apparition simultanée de tendances à la fois universalisantes et particularisantes dans les systèmes sociaux, politiques et économiques contemporains » et souligne que « l'importance croissante des niveaux continental et mondial s'accompagne d'une importance accrue des niveaux local et régional » (Joachim Blatter, « Glocalization »).
Global et local se co-constituent, s’interpénètrent – contre l’idée simpliste d’un rouleau compresseur qui écraserait les différences. Sur le plan économique, le développement de la globalisation s’accompagne, en même temps, d’une adaptation des modes de production et des marchandises aux sociétés et aux cultures locales où s’implantent les activités industrielles et marchandes. Inspiré du concept japonais de dochakuka – mode de culture qui s’adapte aux conditions du lieu –, l’idée a été largement investie (et détournée de sa signification originelle) par les « études commerciales ou du management » pour indiquer une redescente du niveau global où se jouent la majorité des décisions de production vers le local auquel le global s’adapte – pour mieux imposer ses logiques. Cette vision élude la question des rapports de pouvoir qui peuvent se jouer entre les deux niveaux.
Du local au global
Le cosmolocalisme procède, pourrait-on dire, de manière inverse : il s’agit de construire le global par une remontée depuis le local. Cette remontée n’est pas secondaire : elle est absolument nécessaire pour éviter que la relocalisation des activités humaines ne se meuve en un isolationnisme conservateur, volontiers xénophobe. Le cosmolocalisme « cherche à amplifier la richesse d'un lieu tout en gardant à l'esprit les droits d'un monde aux multiples facettes. Il chérit un lieu particulier, tout en étant conscient de la relativité de tous les lieux », résume Sachs.
Comme le précise l’ingénieur Ezio Manzini dans Design, When Everybody Designs: An Introduction to Design for Social Innovation (2015), si le cosmolocalisme part du lieu, c’est pour autant qu’il peut devenir le nœud d’un réseau interconnecté de lieux. S’il s’agit de partir des communautés humaines locales, c’est pour penser les manières dont elles peuvent se relier, s’organiser, se coordonner, pour s’enrichir mutuellement, au sein de projets concertés qu’elles ne pourraient accomplir seules.
Se réapproprier la production
L’interconnexion des lieux n’est plus une réalité générale subie, mais décidée et activement mise en œuvre sur telle ou telle question. Elle vise en particulier à se coordonner pour produire selon les besoins réels de communautés associées, selon leurs ambitions propres, variables d’un cas à l’autre – et non en fonction de chaînes mondiales qui fonctionnent de manière autonome et ne s’adaptent qu’à la marge aux réalités locales pour mieux vendre ce qu’elles ont décidé de vendre.
Le cosmolocalisme témoigne en ce sens d’une volonté affichée d’opérer une réappropriation des choix et des moyens de production. Cette réappropriation passe notamment, à l’heure du numérique et d’Internet, par la promotion des savoirs libres, confèrant par exemple un accès facilité à des plans de construction. Elle s’apparente, comme le résumait récemment Vasilis Kostakis, leader du mouvement cosmolocaliste en Grèce, dans Libération, à une « réactualisation du marxisme, à la sauce open source ». Promesse d’un mode de vie plus durable ?
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