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Bastien Bouillon et Bouli Lanners dans le film “La Nuit du 12”, de Dominik Moll. © Fanny de Gouville

Cinéma

“La Nuit du 12” : enquête sur “ce qui cloche entre les hommes et les femmes”

Ariane Nicolas publié le 25 février 2023 5 min

Nommé onze fois aux César 2023, le film La Nuit du 12 du réalisateur Dominik Moll est le grand gagnant de la cérémonie, avec six statuettes dont celle du meilleur film. Enquête policière poignante sur un féminicide non résolu, il explore, cinq ans après #MeToo, la nature de la violence masculine et ses insondables origines.


 

La nuit du 12 au 13 octobre 2016, Clara Royer (incarnée par Lula Cotton-Frappier) rentre d’une soirée chez des amies. Les rues de Saint-Jean de Maurienne sont calmes, les montagnes alentour endormies, l’air doux. Alors qu’elle enregistre une courte vidéo pour sa meilleure amie sur son smartphone, la jeune femme de 21 ans est interpellée par un homme vêtu de noir et cagoulé. « Clara ? » Un spectre aux yeux luisants de haine l’asperge alors d’essence et allume un briquet. Clara, dont le haut du corps prend feu, meurt quelques minutes plus tard.

Son corps carbonisé sera découvert le lendemain matin, près d’un parc. Début d’une enquête policière menée par Yohan (Bastien Bouillon, César du meilleur espoir masculin) et Marceau (Bouli Lanners, meilleur acteur dans un second rôle), qui n’aboutira jamais – le spectateur est prévenu dès l’ouverture du film. L’enquête policière, laborieuse techniquement et éprouvante émotionnellement, se redouble d’un questionnement sociétal sur les violences faites aux femmes, que Marceau résume avec franchise et désarroi : « C’est quoi cette obsession à vouloir cramer les filles ? »

L’aporie de la misogynie

Cramer, frapper, insulter, violenter… Dans La Nuit du 12, la misogynie se décline sous différents modes, à mesure que les enquêteurs interviewent les anciens petits amis de la victime. Aucun ne manifeste d’empathie. Au bowling, Wesley leur demande de taire son adultère pour ne pas miner son couple ; Jules, avec qui Clara faisait de l’escalade, rit sans gêne et « pense à autre chose » ; Gabi le rappeur jaloux avoue avoir écrit une chanson sur son envie de « cramer » Clara ; Denis cherche par tous les moyens à concentrer l’attention sur lui ; Vincent se vante d’être un homme « qui baise dur »… et qui bat ses compagnes.

Le mobile, comme le suspect, restent introuvables. Comment expliquer cette énigme ? Peut-être bien parce que précisément, les féminicides sont par nature des énigmes. Ils sont même plus que cela : des apories. Pures impasses intellectuelles. Or, contrairement à un infanticide par exemple, ou à un vol « qui tourne mal », lorsqu’une femme meurt, on commence toujours par se demander ce qu’elle a fait pour que l’homme en arrive là. L’aurait-elle trompé ? Mal regardé ? Aurait-elle eu l’outrecuidance de demander le divorce ? Comme s’il y avait une relation de cause à effet directe entre l’expression de sa personne et la violence reçue en retour, comme si un lien logique pouvait expliquer l’accès de brutalité. C’est ainsi que dans le film, un policier s’autorise à qualifier Clara de « fille pas compliquée » qui « tombait facilement amoureuse ». « Pas une sainte », en somme, encore « une femme qui aime les bad boys ». Il ne faudrait pas s’étonner que…

Et alors ? s’indigne sa meilleure amie Stéphanie (Pauline Serieys). « Qu’est-ce que ça change en fait ? Ce n’est pas elle. Elle n’a pas commis de crime. Vous voulez savoir pourquoi elle s’est fait tuer ? Parce que c’était une fille, voilà c’est tout. C’était une fille. » De manière radicale, La Nuit du 12 refuse toute intellectualisation des féminicides et toute psychologisation des meurtriers potentiels. La misogynie ancestrale des sociétés humaines est montrée comme un fait structurel, absolument injuste et atroce, d’autant plus insupportable qu’il ne répond à aucun méfait commis par les femmes. Le féminicide ne s’inscrit pas dans un cycle de vengeance : la misogynie est une haine gratuite, sans cause, une anomalie dont l’origine s’avère indéfinissable. Il existe toujours un saut dans l’absurde, un hiatus entre la raison pour laquelle un homme veut tuer une femme et son passage à l’acte.

Des hommes responsables

Intégralement masculine, la cellule de la police judiciaire n’en est pas moins saisie d’effroi. Les personnages débattent, sans trouver de réponse satisfaisante, sur cette aporie. « C’est toujours les femmes qu’on fait brûler, à commencer par Jeanne d’Arc et toutes les sorcières, souffle Marceau. Les mecs, on les décapite, on les crucifie, on les fusille. » Son collègue de préciser, évoquant les immolations religieuses ou politiques de certains hommes : « Ce ne sont pas toujours les femmes qui brûlent, mais toujours les hommes qui mettent le feu. » Là encore, un fait brut, dont les soubassements anthropologiques demeurent insondables.

Leur chef Yohan, taiseux et prudent, évite de se prononcer. Mais l’affaire le hante. Trois ans après le meurtre, conscient de son échec, il se confie à la juge d’instruction (Anouk Grinberg), dans ce qui reste peut-être le monologue le plus marquant au cinéma l’an passé :

“Ce qui m’a rendu dingue, c’est que tous les types qu’on a entendus auraient pu le faire. Tous les hommes qu’elle a croisés, même ceux qui ne sont pas des salauds. Et peut-être tous les hommes qu’elle n’a pas croisés. Je suis peut-être fou mais j’ai la conviction que si on ne trouve pas l’assassin, c’est parce que ce sont tous les hommes qui ont tué Clara. C’est quelque chose qui cloche entre les hommes et les femmes”

Image de cette frustration, Yohan fait du vélo sur piste tout seul, tournant en boucle « comme un hamster » et se dépensant inutilement. C’est seulement à la fin du film, lorsqu’il comprendra que vivre pour cette morte pourra redonner un sens à son travail, qu’il décide enfin de se lancer sur une route de montagne – plus ardue mais plus douce à l’esprit.

Présence-absence féminine

On aurait pu attendre d’un film sur les féminicides qu’il offre davantage la parole aux femmes. Dominik Moll fait un autre choix, qui renforce l’absurdité de ces meurtres : il souligne à quel point ce sujet concerne les hommes au premier chef. Sa nouvelle recrue, une femme major de promo, le remarque alors qu’ils sont en planque dans un fourgon : « Vous ne trouvez pas ça bizarre que ce soient majoritairement les hommes qui commettent les crimes, et majoritairement les hommes qui sont censés les résoudre ? Les hommes tuent et font la police, c’est curieux non ? Un monde d’hommes. »

Dans les rues des communes françaises, où 76% des femmes se sentent en insécurité lorsqu’elles marchent seules, la nuit est un monde d’hommes. Et La Nuit du 12 est bien à cette image, remplie d’hommes. Cependant, le personnage central du film, s’il n’est pas présent plus de quelques minutes à l’écran, reste Clara Royer. Parce qu’elle occupe les esprits, les conversations, les heures passées à « combattre le mal en rédigeant des rapports », parce que les policiers se déchirent à cause d’elle et que la juge d’instruction ne l’a pas laissée tomber, la victime occupe tout l’espace du film, figure tragiquement présente-absente. Et jusqu’à l’affiche, où Clara se tourne vers le spectateur dans un geste d’inquiétude, comme pour nous dire : ne m’oubliez jamais.

 

La Nuit du 12, de Dominik Moll, avec Bastien Bouillon, Bouli Lanners et Théo Cholbi, est toujours à l’affiche.

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