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Jérôme Lèbre en 2018. © Hannah Assouline/Opale/Leemage

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Jérôme Lèbre : “Une succession de lois a rendu les transgressions policières légitimes”

Jérôme Lèbre, propos recueillis par Octave Larmagnac-Matheron publié le 24 décembre 2020 10 min

À quoi sert la police ? D’où vient-elle ? Quels sont ses rapports avec le politique et avec la justice ? Autant de questions cruciales auxquelles il nous faut essayer de répondre si nous voulons comprendre le problème de violence structurelle que pose l’institution policière, selon Jérôme Lèbre. Dans un patient effort de généalogie, le philosophe, qui explore le sujet sur sa chaîne YouTube, s’efforce de comprendre comment nous en sommes arrivés à la situation que nous connaissons : méfiance exacerbée à l’égard des policiers et colère policière croissante.

 

Michel Foucault parlait du « regard sans visage » de la police. Est-ce que la police d’aujourd’hui cherche, au contraire, à se rendre visible ?

Jérôme Lèbre : Aujourd’hui, la police occupe plutôt tout le spectre allant de l'invisibilité complète (la surveillance électronique) à la spectacularité (la démonstration de force configurée pour son usage médiatique, comme à l’occasion de la manifestation du 13 décembre à Paris). Ces deux pôles transgressent les limites de la présence légitime de la police dans un État de droit, qui occupe normalement un champ de visibilité plus restreint : de la visibilité non-spectaculaire d’agents en uniforme à l’invisibilité de la police en civil et des services de renseignement intérieur, encadrés par l’administration, la justice, la loi. Seulement, pour répondre à une obsession sécuritaire constante, une succession de lois a rendu les transgressions policières légitimes, au nom même de la lutte contre les transgressions (délits et crimes). L’une des formules favorites de l’obsession sécuritaire est la suivante : « La sécurité est la première des libertés ». Cette phrase transgresse les lois de la pensée comme de la politique, selon lesquelles une sécurité totale réduit la liberté à néant, alors qu'une liberté maximale ne fait que diminuer la sécurité. L’obsession sécuritaire tue la démocratie, car celle-ci ne peut reposer que sur le courage citoyen d’assumer certains risques individuels afin de garantir la mise en œuvre, également courageuse, de la liberté collective. On ne peut protéger la liberté en éradiquant le désordre. Liberté et sécurité sont incommensurables, irréductibles : il nous faut trouver un équilibre entre les deux.

 

L’obsession sécuritaire n’est pas liée, pour vous, à une hausse des violences ?

La peur demande une police visible et, en même temps, d’une manière quasi-mystique, l’omniprésence d’une police qui ne se montre pas. Même les médias, malgré leurs efforts, ne peuvent ici répondre à la demande. L’obsession sécuritaire reste donc en manque et recourt alors au fantasme d’une police submergée et impuissante. C’est ainsi qu'elle voit ou croit voir des délits et des crimes partout, des délinquants et des « casseurs » omniprésents, rarement arrêtés et immédiatement relâchés par la justice. Ce besoin de croire que la police ne fait rien et ne peut rien faire, qu’elle est l’éternelle victime de la justice comme des « délinquants », conduit à une tentation paradoxale : diminuer l’efficacité de la police comme de la justice par des mesures d’économie drastiques tout en s’assurant, non la satisfaction d’une partie majeure de la population – mais sa non-satisfaction complaisante... 

 

“La violence que des groupes politisés exercent politiquement (et symboliquement) contre les biens publics et privés est infiniment moins grave que celle qui touche des personnes, qu’elle soit anti-policière ou policière. […] Confondre une plaque de verre et un visage […], c’est la voie des pires crimes”

Concrètement, quelles sont les conséquences ?

Je m’inspire pour vous répondre de Politiques du désordre. La police des manifestations en France (Seuil, 2020), un ouvrage d’Olivier Fillieule et Fabien Jobard. La pauvreté de la police de proximité, le glissement des tâches de sécurisation vers une surveillance informatique moins onéreuse, le manque de formation, la baisse des effectifs des forces mobiles spécialisées dans le maintien de l’ordre, le contre-emploi dans cette tâche des brigades spécialisées dans les arrestations (BAC) ou la répression de la violence (les BRAV-M). Ces policiers, dont la culture est différente de celles des forces de maintien de l’ordre, vont beaucoup plus au contact, à l’affrontement. On objectera que le développement de ces méthodes agressives est provoqué par la violence des « casseurs ». Mais on en reste alors à des catégories grossières : le manifestant pacifique, le casseur violent, le policier répondant par une violence proportionnée. La réalité est ailleurs. D’une part les manifestants pacifiques en ont assez de constater que leurs revendications n’ont aucun effet politique, que les médias évitent de relayer leur message en se focalisant sur les violences en marge de leur action, qu’en restant pacifiques, ils n’évitent ni les coups de matraque ni les heures de garde à vue. D’autre part la violence que des groupes politisés exercent politiquement (et symboliquement) contre les biens publics et privés est infiniment moins grave que celle qui touche des personnes, qu’elle soit anti-policière ou policière. D’où la grave responsabilité des personnalités officielles, des syndicalistes policiers ou des journalistes qui parlent de la « violence inouïe » (je l’ai entendu à la télévision) des briseurs de vitrines : confondre une plaque de verre et un visage, un dommage matériel et une blessure, une chose et une personne, c’est la voie des pires crimes.

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