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Viggo Mortensen et Léa Seydoux dans “Les Crimes du futur”, de David Cronenberg. © Nikos Nikolopoulos/Metrofilms/Le Public Système

Cinéma

“Les Crimes du futur” : l’avenir du corps selon Cronenberg

Ollivier Pourriol publié le 27 mai 2022 5 min

Les Crimes du futur, le dernier opus de David Cronenberg, nous plonge dans un univers cauchemardesque où l’humanité connaît ses derniers soubresauts, qui sont peut-être les secousses d’un nouveau monde en train d’advenir. Tout est, selon le point de vue, en décomposition ou en mutation. Le philosophe, essayiste et romancier Ollivier Pourriol s’appuie sur Spinoza pour décrire ces métamorphoses du corps.

 

David Cronenberg avait prévenu, avant la projection de son film à Cannes, que beaucoup de monde quitterait la salle. Pas simplement parce que pour voir son film-performance, il faut avoir le cœur bien accroché (ou, au contraire, décroché, tatoué, tranché, extrait), mais parce qu’à Cannes, comme il le dit, on n’a pas affaire à un vrai public de cinéphiles mais en grande partie à des créatures de tapis rouge, venues pour le glamour festivalier, pas pour le gore métaphysique. Parmi ces spectateurs mécontents, deux catégories, parfois confondues : ceux que le film a rendus malades, ceux qui ont trouvé le film – et sûrement son réalisateur – malade.

Mutation généralisée

Cronenberg part en effet de deux constats : un, le monde est malade. La mutation s’est généralisée : les corps produisent des tumeurs d’origine inconnue, probablement industrielle, dont personne ne connaît le sens, des enfants naissent adaptés à ce monde nouveau, équipés pour ingérer et digérer le plastique ; il y a ceux qui résistent à ce changement, et ceux qui préfèrent l’épouser, ceux qui quittent la salle, et ceux qui acceptent de regarder. Deux, que vous quittiez la salle ou pas, vous faites partie de ce monde, et si vous n’êtes pas encore malade, vous finirez par l’être. Ce n’est pas de la science-fiction, ça s’appelle la condition humaine, la mortalité, la vieillesse.

« Personne, il est vrai, n’a jusqu’à présent déterminé ce que peut le corps », écrivait Spinoza dans son Éthique (Livre III, scolie de la proposition 2) en 1677. En 2022, rien n’a changé, cette phrase irait comme un gant (mais un gant retourné) au travail de David Cronenberg en général, et à ce film en particulier, qui se présente comme le dernier. Les Crimes du futur, qui n’a de policier que son titre, est une exploration philosophique du corps comme réalité ultime, la seule que nous ayons tous à partager. « Le corps, par les seules lois de sa nature, peut beaucoup de choses dont son esprit reste étonné. » Bizarrement spinoziste dans son programme, le film explore de manière systématique et jusqu’au-boutiste les possibilités du corps, y compris pathologiques, et étonne, en effet, au sens le plus étymologique du terme. Sidération, dégoût, sublime.

La “beauté intérieure” passée au scalpel

Hitchcock reconnaissait, lors de ses entretiens avec Truffaut, filmer toutes ses scènes d’amour comme des scènes de meurtre, et inversement, toutes ses scènes de meurtre comme des scènes d’amour. Chez Cronenberg, « la chirurgie est le nouveau sexe », et le bon vieux baiser de cinéma a muté en exploration littérale, au scalpel, de la « beauté intérieure ». Toute peau est destinée à être pénétrée, découpée, autopsiée de son vivant, pour révéler, de manière très baudelairienne, ses fleurs du mal organiques. Sartre qui, de son propre aveu, s’y connaissait en laideur, imaginait déjà que, pour un anatomiste digne de ce nom, il devait y avoir de beaux organes comme il y a de beaux seins ou de belles fesses, l’intérieur d’un corps devait pouvoir être sujet d’appréciation esthétique tout autant que son enveloppe.

Cronenberg a toujours eu la métaphore très directe, proposée comme une expérience à vivre par procuration et par avance à l’écran. Le personnage de Saul Tenser (Viggo Mortensen) est ainsi un body artist secondé par une chirurgienne repentie nommée Caprice (Léa Seydoux), qui cultive avec le plus grand soin les nouveaux organes spontanément produits par son corps, dûment répertoriés par un bureau secret chargé de suivre les « nouveaux vices », qu’on peut entendre administrativement comme « nouveaux crimes » ou plus biologiquement comme « nouvelles formes ». Ce ministère de l’Intérieur à prendre au premier degré évite soigneusement d’utiliser les mots « évolution », « mutations », « tumeurs », « cancer », car là réside l’ironie suprême : qu’on soit artiste ou pas, on meurt toujours d’un excès de créativité de son propre corps.

Que peut-on sur un corps ?

Mais le corps qui produit une tumeur peut-il être dit actif ou artiste ? Finirons-nous tous oeuvres d’art malgré nous ? Non, ça ne suffit pas. Créer n’est pas subir. Il n’y a de joie, comme le démontre Spinoza, que lorsque nous agissons. La question que pose Cronenberg comme homme et comme artiste est : comment rester actif quand on ne choisit plus rien de ce qui nous arrive ? Quand notre corps devient incapable de se nourrir, de se mouvoir, de se défendre, quand il a peur de tout, quand il ne fait plus que subir : examens médicaux, hospitalisations, chimiothérapies, chirurgies… Que peut-on y faire quand on vieillit, c’est-à-dire quand notre corps commence à nous échapper, à faire ce qu’il veut, à faire la guerre à l’esprit qui pensait le guider ou, pour parler comme Spinoza, le « déterminer » ?

Pas d’autre choix que l’humour. Cronenberg, athée jusqu’au fond de ses tripes, propose une conversion, mais du regard. Humour radical, fou, ultime : et si, au lieu de nous considérer comme des victimes de notre réalité organique, au lieu de subir la mort, nous la revendiquions, comme notre oeuvre, comme notre « crime du futur » ? Si, au lieu de parler de maladie, nous profitions de l’expérience pour admirer ce dont notre corps est capable ? Dans cet univers aux affects inversés, peuplé d’un arsenal d’objets-machines entre lit médicalisé sorti du Festin nu de William Burroughs et sarcophage arty, table de dissection équipée comme une navette spatiale sortie d’Alien, il n’y a de vrai plaisir que de la douleur. Au moins fait-elle événement. Le corps de Saul Tenser, perpétuellement tendu, n’est en effet que souffrance, mais volontaire, dans un univers où tout est pourtant fait pour anesthésier la douleur. Ça change tout. Le corps redevient sujet – d’une performance. Est-ce mieux ou pire, demande l’amante-chirurgienne à son artiste perclus lorsqu’il constate que le centre de sa douleur s’est curieusement déplacé. Ni l’un ni l’autre, c’est « différent ».

C’est là le génie de Cronenberg de nous proposer, une fois encore, quelque chose de différent dans un monde malade de son uniformité, une expérience limite entre individus consentants. Il ne s’agit pas de torturer le spectateur à son corps défendant, mais de lui proposer un contrat moral unique, qui pourrait s’énoncer ainsi : « Allons trop loin, mais ensemble. » Personne, il est vrai, n’a jusqu’à présent déterminé ce que peut le spectateur.

 

Les Crimes du futur, de David Cronenberg avec Viggo Mortensen, Léa Seydoux et Kristen Stewart, est actuellement en salle.

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