Julian Baggini : “Le Brexit a accéléré le relatif déclin de l’Europe”

Quelle est votre première réaction concernant le résultat du référendum britannique sur le Brexit ?

Julian Baggini : De la colère. Tout ceci est arrivé uniquement parce que David Cameron a promis un référendum sur la sortie ou le maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne pour tenter de faire cesser l’hémorragie électorale en faveur du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (Ukip). Il l’a fait pour l’intérêt de son parti, et non pour l’intérêt national. Pire, de nombreux commentateurs pensent qu’il n’a jamais pensé qu’il aurait à honorer son engagement car personne n’imaginait qu’il obtienne une majorité au Parlement en faveur d’un référendum. Cette situation est donc dans son ensemble le résultat d’un jeu politique opportuniste qui a mal tourné.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

En partie pour les raisons que j’ai évoqué, mais aussi parce que les principaux politiciens en Angleterre  – et dans le monde entier – ont perdu la confiance de l’électorat. Cette perte de confiance a créé une profonde suspicion à l’égard des élites et des experts, permettant aux partis et aux politiques populistes de séduire avec leur apparent sens commun et leur franc-parler. Ce n’est pas tant le triomphe de la xénophobie et du nationalisme que l’échec de la politique démocratique.

L’euroscepticisme britannique est-il ancré dans une tradition politique ou philosophique ? Autrement dit, la conception britannique libérale de la démocratie et du parlementarisme est-elle fondamentalement sceptique vis-à-vis d’une union politique européenne ?

Je crois que l’euroscepticisme est ancré dans la culture britannique, dont la politique et la philosophie sont parties prenantes. C’est une culture qui n’aime pas les règles et les lois compliquées et qui est aussi extraordinairement patriotique. Mais il est aussi ancré de façon contingente dans l’échec de l’Union européenne à devenir un corps politique efficace sur lequel on peut compter. Il existe un attrait pour l’autonomie mais aussi un rejet contre une Union européenne pesante et bureaucratique.

Que signifie le Brexit pour l’Europe ?

Je crains que cela marque le début d’une période de fragmentation et une marche arrière nous éloignant d’une période de coopération sans précédent. Nous ne savons pas où cela mènera mais cela pourrait bien être à un mauvais endroit.

Et pour le Royaume-Uni ?

À court terme, nous faisons un grand tort à notre économie. Le Brexit est aussi révélateur d'une mentalité isolationniste qui n’est jamais bonne en soi, mais qui est pire encore dans un monde interconnecté. L’illusion d’une pure souveraineté nationale est attirante mais dangereuse.

Que peut-on espérer à l’avenir ?

Le monde ne s’est pas écroulé. Nous devons nous souvenir que tout est relatif. La Grande-Bretagne demeure un pays développé et prospère, même s’il l’est moins qu’il a pu l’être. L’inquiétude concerne les risques qui ne sont pas les plus probables mais qui le sont suffisamment à présent pour qu’on reste tout à fait sereins : un éclatement de l’Europe, un refuge dans le nationalisme, et plus encore dans des politiques populistes. Je pense que le Brexit a accéléré le relatif déclin de l’Europe. Il ne nous reste plus qu’à espérer que ce déclin ne soit pas si dramatique qu’il menace notre mode de vie.