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Kostas Axelos © Philippe Matsas / Opale / Leemage

Kostas Axelos. « J’ai pu sentir la vibration de l’Histoire, celle de la Grèce comme celle du monde »

Kostas Axelos, propos recueillis par Christos Memos publié le 24 mars 2010 8 min

Cet entretien paru dans la revue européenne et anglophone Thesis Eleven (« For Marx and Marxism : An Interview with Kostas Axelos », no 98, août 2009), a été mené en juillet 2006, à Paris, par Christos Memos. Ce professeur à l’université de York (Angleterre), est spécialiste de philosophie politique, de Marx et de la critique marxiste.

Christos Memos : Quelles ont été, en Grèce, les circonstances qui ont formé votre expérience et déterminé votre attitude à l’égard de Marx et du marxisme ?

Kostas Axelos : J’ai grandi dans une famille libérale et rejoint à 17 ans les Jeunesses communistes. J’ai été meneur et théoricien du mouvement estudiantin, où j’ai eu l’occasion de me familiariser avec ce qu’on appelle le « marxisme réel ». De ce point de vue, ma participation au mouvement communiste a été une expérience de grande importance dans ma vie : grâce à elle, j’ai pu sentir la vibration de l’Histoire, celle la Grèce comme celle du monde. En même temps, j’ai découvert la camaraderie, puisque nous passions alors nos journées ensemble. Pour avoir été dégoûté par la bourgeoisie, je pensais que le milieu marxiste m’offrirait une société ouverte. J’ai vite réalisé qu’il y avait là beaucoup de dogmatisme et de bureaucratie, principalement à cause du stalinisme rigide qui servait de modèle au parti communiste grec. Plus tard, j’ai pris part au conflit armé de décembre 1944 (les Dekembriana opposèrent les troupes grecques royalistes et britanniques aux communistes, Ndlr). Nous avons occupé l’École polytechnique et combattu la milice. Quand les chars britanniques nous ont cernés, nous avons dû fuir. Certains ont été blessés, d’autres arrêtés. Une partie d’entre nous a pu s’échapper et nous avons rejoint l’Armée populaire de libération nationale (Elas).

En somme, j’ai eu une expérience assez négative de la Grèce. L’expérience de la bourgeoisie, d’abord, que je trouvais étouffante – ses idées, ses conventions et sa moralité. J’étais contre la bourgeoisie avant même de rejoindre le parti communiste. Je souhaitais que cette classe périsse. J’ai fait, ensuite, la mauvaise expérience de la bureaucratie stalinienne. À partir du moment où je suis devenu politiquement un clandestin, j’ai voulu quitter la Grèce. Il me semblait qu’elle était étroite et elle me donnait le sentiment d’un fort ethnocentrisme. J’ai pu m’installer en France grâce à une bourse octroyée par le gouvernement français. Lorsque j’ai quitté la Grèce, j’ai dû secouer la poussière bourgeoise et communo-stalinienne dont mes pieds étaient couverts.

 

Quelle était l’ambiance à votre arrivée en France ?

L’ambiance était amicale et j’ai tout de suite commencé à étudier la philosophie à la Sorbonne. J’ai lu systématiquement Héraclite, Marx, Hegel et Nietzsche. Sur le plan politique, des élections législatives allaient être tenues lorsque j’ai débarqué en France. On voyait des affiches du parti communiste français (PCF) avec le « slogan politique » suivant : « Votez pour le parti communiste français, le parti des petits propriétaires. » Je me disais : « Était-ce pour ces petits propriétaires que nous nous étions battus ? » En mars 1946, j’ai été exclu du parti grec pour avoir déclaré qu’il était dogmatique. Et voilà que je me retrouvais opposé à la ligne du PCF. Il n’est pas inutile de mentionner ici que, durant les années qui suivirent la Libération, le PCF était au sommet de son influence politique et a fait un effort considérable pour imposer sa prédominance idéologique, dans un cercle allant de Jean-Paul Sartre au catholicisme de gauche. Je me suis trouvé en dehors et contre ces courants idéologiques. Aussi ai-je rejoint des universitaires avec qui je partageais des expériences, à savoir des ex-communistes qui n’étaient pas devenus des anticommunistes pour autant. C’est dans cette optique que nous avons créé la revue Arguments.

 

Dans l’éditorial qui annonce la fin de cette revue (en 1962), vous remarquez qu’« apprendre à parler et à penser est extrêmement difficile et, quant à l’action, nous sommes loin encore de comprendre ce que peut vouloir dire “transformer le monde” (Marx) ou “changer la vie” (Rimbaud). » Pourquoi la majorité des marxistes restent-ils obtus, dans leur réflexion comme dans leur action ?

« J’ai essayé de proposer une pensée qui, dans l’horizon de l’errance, se présente comme une pensée du jeu du monde »

À chaque période de l’histoire et de la pensée, une mentalité tout à fait moyenne, amalgame de multiples banalités et truismes, prévaut. C’est à croire que les gens et les sociétés sont indifférents aux grandes pensées. En revanche, une grossière vulgarisation de ces pensées domine. De nos jours, quelques personnes convoquent la pensée de Marx et du marxisme. Et pourtant, elles ne transmettent pas la vibration qui traverse sa pensée. Elles n’y recherchent que des leçons théoriques et pratiques de second ordre, tout en obéissant, dans leur action, à des mouvements qui sont en phase avec la médiocrité de l’époque. Pour entrer dans un dialogue fécond avec la pensée de Marx, plutôt qu’avec la théorie marxiste, d’autres penseurs (Hegel, Nietzsche, Heidegger) devraient être sollicités, non pas pour revitaliser le marxisme de façon classique, mais pour maintenir ouvert ce qui pose problème dans la pensée de Marx, et pour le questionner en tant qu’unité, de plusieurs points de vue.

 

Comme vous l’indiquez, votre objectif a été de « découvrir l’intention de la pensée de Marx et de la suivre jusque dans ses dernières conséquences. En essayant d’entendre le discours de Marx – discours cohérent, conséquent et global –, nous nous préparons également à faire éclater sa vérité ». Quelle est cette vérité ?

L’axe central d’une pensée résiste aux différentes interprétations qui s’en inspirent. Chaque penseur devrait être rendu plus problématique qu’il ne l’est. Pouvons-nous mieux -comprendre un auteur qu’il ne se comprend lui-même ? La question reste ouverte. Le fossé souligné par Marx entre ce que nous pensons et la façon dont nous agissons devrait être creusé plus encore, de façon qu’il puisse être fécond. Nous avons à l’approfondir au-delà de nos illusions, de notre mauvaise foi et de nos mensonges, afin d’en assumer le caractère bouleversant, sans chercher de solutions faciles. Cette question du fossé entre la pensée et l’action renvoie à l’époque dans sa dimension concrète, c’est-à-dire qu’elle inclut les gens et les sociétés. Et il n’est pas sûr que cette question ait été posée dans toute sa profondeur et son étendue. Une alternative existe-t-elle dans un futur proche, ou faudra-t-il encore longtemps avant que la situation actuelle ne soit prise dans sa globalité, qu’elle n’emporte tout avec elle, avant qu’on ne l’épuise ?

 

Quels aspects de l’œuvre de Marx vous paraissent plus contestables ?

Marx a réduit le monde ouvert et multidimensionnel à un monde matériel, tel un produit du travail concret, et à une superstructure idéologique. Il en résulte que la libération qu’il visait était et demeure partielle. Ces limites théoriques et l’absence de dimension poétique dans la pensée du fondateur du marxisme, étaient évidentes pour ceux qui auraient aimé en parler de façon plus radicale que critique. Marx considérait la technique comme une force motrice. Cependant, il n’est pas parvenu à concevoir ses origines lointaines et sa prépondérance sur sa propre pensée ainsi que sur son action.

 

Quel a été votre apport à la pensée critique et radicale ?

J’ai essayé de proposer une pensée qui, dans l’horizon de l’errance, se présente comme une pensée du jeu du monde, une pensée historique, systématique et effective, ouverte et multidimensionnelle, poétique et planétaire, une pensée, donc, qui affronte l’enjeu de notre temps : la technique. L’avenir de cette tentative ne m’appartient pas, il appartient au temps.

 

Dans votre essai intitulé « Y a-t-il une philosophie marxiste ? » (Vers une pensée planétaire), vous soutenez que la gauche « s’est stérilisée en ne voulant pas ou en ne pouvant plus se référer à un fondement qui prime et qui dépasse, d’une part l’empirique grossier et le concret fixe ». Quel est ce fondement ?

L’histoire du monde prend forme grâce aux êtres humains, alors qu’en même temps, elle surpasse nos théories, nos projets et nos volontés. Ce que nous appelons son fondement ou sa raison est perdu dans le tourbillon de l’histoire et dans l’inimaginable abattement de cette phase de l’histoire trop épuisée, que nous vivons, dans laquelle nous pensons, agissons et mourons. Ce que l’on appelle mondialisation aujourd’hui ne fait décidément pas place à l’ouverture au monde au sens propre, elle intègre ou sape toutes les alternatives. Parce que celles-ci agissent sur le même plan que celui qu’elles combattent. Ainsi, que reste-t-il ? Une vie en communion avec la nature, la sympathie qui accompagne le militantisme, la tentative d’une pensée radicale qui ne s’enferme pas dans ses propres limites, l’errance érotique, le dévoilement du théâtre politique qui n’est pas qu’un théâtre. Restent la participation politique critique et vive, aussi bien que la lutte active et passive, où et quand c’est possible, pourvu que cela n’encourage pas les illusions. Reste notre participation vigilante à un jeu qui ne clôt pas tous les horizons. Il nous faut ne pas passer à côté de ce qu’il nous revient de faire et de ce qui est en train de se transformer devant nous.

 

Pour aller plus loin

L’œuvre de Kostas Axelos : ses trois trilogies

Le Déploiement de l’errance : Marx penseur de la technique (Minuit, 1961), Héraclite et la philosophie (Minuit, 1962) et Vers la pensée planétaire (Minuit, 1964) constituent les trois volets de sa première trilogie sur l’origine de la pensée occidentale. Il interroge le temps du monde, à la recherche d’une pensée planétaire.

Le Déploiement du jeu : Contribution à la logique (Minuit, 1977), Le Jeu du monde (Minuit, 1969) et Pour une éthique problématique (Minuit, 1972) : cette deuxième trilogie entend saisir le « jeu » du monde, son errance, sans prétendre l’englober, ni même comprendre le « Tout ».

Le Déploiement d’une enquête : Arguments d’une recherche (Minuit, 1969), Horizons du monde (Minuit, 1974) et Problèmes de l’enjeu (Minuit, 1979). Carnet de route d’une « méthode », cette dernière trilogie, partant des philosophes présocratiques pour rejoindre les contemporains, pense la fin de l’histoire pour élaborer une pensée future.

Ses autres essais

Entretiens « réels », imaginaires et avec « soi-même » (Fata Morgana, 1973). Interrogé par ses amis (G. de Bosschère, Roland Jaccard, A. Joffroy), interrogeant ses compagnons de route (J.-P. Forget, P. Fougeyrollas, H. Lefebvre), s’interrogeant
lui-même, Kostas Axelos exerce sa « pensée interrogative » et se livre. Dynamique et ludique, (auto-)biographique.

L’Errance érotique (La Lettre volée, 1992). Axelos, demandant à une prostituée : « Pourquoi ce métier ? », se serait entendu dire : « les femmes sont sans fondements » (gründ), mot-clé de la métaphysique allemande. Couple, enfants, morale, sexualité… sont passés au crible pour approcher ce que nous cherchons dans et par l’amour.

Lettres à un jeune penseur (Minuit, 1996). Référence à Rilke, ces sept Lettres ne « s’adressent pas à quelqu’un ou à un public particulier ». « Elles essayent d’offrir quelque chose comme une orientation », dans le rapport de l’homme au monde. Ce sont de courtes et profondes réflexions.

Notices « autobiographiques » (Minuit, 1997). Ce recueil d’aphorismes fournit le mode d’emploi d’Axelos, explicite sa façon d’être au monde. Les suivre avec souplesse et curiosité c’est goûter la fraîcheur d’une sagesse à l’antique.

Réponses énigmatiques (Minuit, 2005). Recueil de textes, dont certains ont donné lieu à des conférences. Parmi eux, une profonde pensée de « L’Amicalité envers la catastrophe » digne des Antiques : « La catastrophe ne fait pas sombrer le monde. Celui-ci ne fait qu’osciller », et une conclusion héraclitéenne : « La clarté est habitée par l’obscurité », révèlent la démarche de l’auteur.

Ce qui advient. Fragments d’une approche (Encre marine, 2009). 342 ultimes pensées fragmentaires cherchent à saisir « le centre de tous les rapports […] ce qui ne nous quitte pas, ce qui advient ». Bonne initiation à l’errance poétique d’une œuvre « dissimulée » et « offerte ».

Sur Kostas Axelos

Le Jeu de Kostas Axelos, de Henri Lefebvre et Pierre Fougeyrollas (1973, Fata Morgana). « Au-delà du savoir » et « Au-delà du nihilisme » sont les deux versants de cette biographie rédigée par des amis. Ils expliquent le tempérament égal d’Axelos « l’obscur ».

Kostas Axelos. Une vie pensée, une pensée vécue, d’Éric Haviland (L’Harmattan, 1995). Portrait informé et enlevé d’un « météore » qui a traversé la vie de l’écrivain. Empathie et réflexion font de cette œuvre mi-biographique, mi-théorique, une bonne entrée dans la vie et l’œuvre d’Axelos.

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