Gauche : comment sortir du déclin ?

Philomag vous propose chaque semaine une sélection d’articles parus dans la presse française et étrangère, rassemblés autour d’une thématique commune. Des articles qui nous ont surpris, questionné, dérangé. L’occasion de découvrir de nouveaux points de vue sur le monde et les événements qui font l’actualité. 

Cette semaine, une question : la gauche est-elle condamnée au déclin que lui promettent chaque semaine les sondages ou peut-elle revenir en force ?

Roger Sue : « La France est plus à gauche qu’on ne le dit »

Dans Le Monde, le sociologue Roger Sue fait un constat paradoxal : « La France est un pays de gauche qui vote à droite. » Les sondages, qui laissent entendre que, pour la présidentielle, « la décision se fera entre la droite et la droite sur fond de radicalité » ne correspondent pas vraiment à la réalité sociologique. « Les indices visibles du progrès des valeurs de la démocratie ne manquent pas : tolérance LGBT, mariages homosexuels, record des mariages interethniques et de l’assimilation des étrangers, mouvements féministes, sensibilité accrue aux inégalités et injustices, attachement à la devise républicaine, etc. » Pourquoi, alors, la gauche est-elle en perte de vitesse dans le jeu politicien ? « Ce grand écart tient d’abord à l’absence de traduction politique de ces courants démocratiques de fond. Il est plus compliqué de représenter une société d’individus moins dépendante des origines et des positions sociodémographiques qui orientaient les votes. » L’électorat, et plus encore l’électorat de gauche, « est devenu à la fois volatil et protestataire, oscillant souvent entre refus de vote et vote de refus ». 

Pierre Souchon : « Les aspirations populaires ne sont pas écoutées par la gauche »

Le déclin de la gauche est aussi au cœur d’un dossier récent du Monde diplomatique. Le journaliste Pierre Souchon y pointe du doigt le manque de « résonance politique ou syndicale » de nombreuses revendications populaires. À commencer, pour revenir sur l’actualité de ces dernières années, par le problème qui déclencha le mouvement des « gilets jaunes » : le prix des carburants. Un sujet épineux pour une gauche de plus en plus sensible aux questions d’écologie (et plus préoccupée par des enjeux culturels et identitaires). Ce qui n’empêche pas, comble du paradoxe, la gauche de soutenir ces mêmes mouvements lorsqu’ils se déroulent à l’international, en Iran, en Équateur, etc. « Le soutien massif de la gauche politique et syndicale française aux révoltes contre les prix à la pompe est inversement proportionnel à la distance qui la sépare de la contestation ». « Incapable d’écouter les aspirations populaires et de tirer profit du mécontentement général », la gauche est en perte de vitesse. 

Stéphanie Roza : « Les féministes et les antiracistes doivent se souvenir que la question des inégalités sociales est transversale, et même conditionne ces combats »

Le déclin de la gauche est-il évitable ? Oui, répond la philosophe Stéphanie Roza, qui vient de coordonner aux PUF une Histoire globale des socialismes, dans un entretien accordé à Marianne. À condition qu’elle se recentre sur ce qu’elle est fondamentalement : « Prenons ceux qui se sont déclaré candidats de gauche à l'élection présidentielle : un grand nombre ne se réclame plus de l’héritage socialiste. Les raisons de la faiblesse actuelle de la gauche sont multiples, mais je pense que cela en est une, ou du moins un symptôme. Nous n’avons pas un personnel politique enraciné dans une idéologie, avec une conception de l’homme, de l’histoire humaine, etc. La plupart d’entre eux ne sont plus en mesure de proposer un contre-modèle au capitalisme. Si la gauche redevient forte un jour, ce ne sera qu’avec un contre-projet au capitalisme. » 

Bruno Latour : « L’anticapitalisme est une mythologie révolutionnaire typique du XX^e siècle, proprement u-topique »

Si les questions traditionnelles de la gauche restent importantes, il est toutefois nécessaire de penser une gauche capable d’empoigner les problèmes spécifiques du monde contemporain, à commencer par la crise écologique, nuance Bruno Latour dans un entretien pour L’Obs. La lutte des classes n’a plus du tout le sens qu’elle avait il y a quelques décennies. Visant nommément Frédéric Lordon qui attaquait la faiblesse de son analyse politique dans un article récent, Latour dénonce « l’intelligentsia de gauche », « responsable de la stagnation de la gauche », qui se complait dans l’idée que « rien n’a changé », que les solutions aux problèmes que nous rencontrons sont celles du marxismes traditionnel. En réalité, fondée sur ce logiciel, « la gauche a tout abandonné. Elle a participé à la grande perspective de la production – pour d’excellentes raisons d’ailleurs, mais ces raisons ne sont plus les bonnes. Il faut renouveler ce vocabulaire rapidement, et arrêter de vivre avec une sociologie dont la date de péremption est passée depuis les années 1960 ».