“Femme, vie, liberté”, dans les rues de Téhéran

Shirin [le prénom a été modifié] est étudiante à Téhéran, et elle aussi n’en peut plus. Elle a correspondu avec notre journaliste Victorine de Oliveira, qui lit dans ses messages de la peur, mais aussi une détermination sans faille et la volonté ferme que cette fois-ci, les choses changent pour de bon. Le hijab obligatoire pour les femmes notamment : terminé. Et plus généralement, le régime des mollahs.

« Nous correspondons depuis quelques jours via Telegram et Instagram, profitant des quelques heures de connexion internet que le régime iranien accorde à sa population, quand il ne musèle pas toute communication. Ce week-end, rien ne passait, alors que des étudiants de l’université de technologie de Sharif, l’équivalent iranien de Polytechnique, étaient encerclés par les forces de sécurité. Des vidéos ont circulé montrant des policiers à moto tirer (apparemment avec des billes d’acier) sur les étudiants. Plusieurs centaines d’entre eux ont été arrêtés. Ces manifestations suivent la mort le 16 septembre dernier de Mahsa Amini, une jeune femme kurde de 22 ans arrêtée par la police des mœurs iranienne et rouée de coups parce que quelques mèches de cheveux dépassaient de son voile. C’est dans ce contexte terrifiant que Shirin m’explique pourquoi, elle aussi, est descendue dans la rue pour crier les slogans désormais emblématiques du mouvement : “Femme, vie, liberté !” et “Mort au dictateur !”

“La police des mœurs, nous y avons toutes droit au moins une fois. J’avais 19 ans, se souvient-elle, et j’étais dans un parc de Téhéran avec deux copines. C’était l’anniversaire de l’une d’entre elles et nous nous prenions en selfie. Soudain, une femme a surgi pour nous demander nos cartes d’identité et nous arrêter. Apparemment, nos voiles n’étaient pas ‘réglementaires’. Je ne suis même pas musulmane, mais je le porte parce que c’est obligatoire, vous savez.” Elle poursuit : “Tout ce que je peux dire, c’est que ça a été un événement traumatisant. Ils vous humilient, vous traitent comme des criminels, transforment votre journée en cauchemar. Si vous leur dites que vous êtes pressée, que vous devez retourner en cours et que vous les suppliez de vous laisser partir, ils s’en prennent physiquement à vous.”

Aussi, quand Shirin a vu ce qu’il était arrivé à Mahsa Amini, la colère est montée d’un coup : “Je me suis imaginé à quel point ça avait dû être dur pour elle. C’est comme si ma sœur avait été tuée, ou l’une de mes camarades de classe.” Malgré la peur et la possibilité bien réelle de perdre la vie (Shirin ne cesse de m’envoyer des photos et des vidéos de manifestants, tous si jeunes, avec le visage tuméfié, parfois pire), elle n’a d’autre choix “pour que ce régime change” de “sortir dans la rue”. Mais autour d’elle, ce ne sont pas que des étudiants : Shirin décrit des personnes âgées, des femmes mais aussi des hommes, qui hurlent leur colère. C’est tout un peuple qui réclame le respect de ses droits humains fondamentaux et la fin de l’oppression injuste d’un pays entier par quelques religieux corrompus. Sur les réseaux sociaux, le mot “révolution” se répand comme une traînée de poudre.

Je n’ai pas pu vérifier tout ce que Shirin m’a dit, ni sourcer toutes les photos et vidéos qu’elle m’a envoyées. J’ai pris le parti de la croire, le déferlement d’images depuis trois semaines étant trop important pour douter qu’il se passe des choses terribles que le gouvernement iranien cherche à tout prix à cacher. À plusieurs reprises, elle m’a demandé : “S’il vous plaît, entendez notre voix, soyez notre voix.” Pour les 154 morts que l’ONG Iran Human Rights recense désormais, il est malheureusement déjà trop tard. »

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