Contre l’islamisme et pour la liberté: les saccades de la démocratie

Ils étaient à nouveau quelques millions sur la place Tahrir à manifester dimanche pour la démission du président Mohamed Morsi, deux ans après les premiers pas de la révolution égyptienne et le renversement d’Hosni Moubarak. Et ils sont 22 millions à avoir signé la pétition réclamant une présidentielle anticipée.

Révoltés contre les échecs politiques, économiques et sociaux du gouvernement égyptien, les manifestants sont soudés par sa crainte d’une dérive vers l’intégrisme islamique. « C’est une deuxième révolution, et Tahrir en est le symbole », s’exclament-ils alors que Le Front national de salut appelle, selon Le Monde, « toutes les forces révolutionnaires et tous les citoyens à maintenir leurs rassemblements pacifiques sur les places, dans les rues, les villages et les hameaux du pays […] jusqu’à la chute des tous les éléments de ce régime dictatorial ». Le mouvement Tamarrud, lui, appelle à une « campagne de désobéissance civile totale » si Moahamed Morsi ne quitte pas le pouvoir d’ici le 2 juillet.
 

Plutôt que de nouvelle révolution, il s’agit de en réalité de la poursuite d’un long processus. Comme le notait Henry Laurens, professeur au Collège de France et observateur du monde arabe : le « moment “Frères musulmans” » est incontournable, mais « ce n’est qu’une partie d’un processus qui va continuer à se déployer par saccades ».

Olivier Roy, politologue auteur de L’Échec de l’Islam politique (Seuil), envisageait déjà en 2011 ce scénario pour l’avenir : « les membres de la bourgeoisie égyptienne, craignant un mouvement populaire, pourraient s’allier avec les généraux, les apparatchiks du parti de Moubarak et… la direction des Frères musulmans. Ces derniers sont en effet des conservateurs sur le plan des valeurs, mais des libéraux sur le plan économique. Reste que ce Thermidor, s’il révolte les jeunes révolutionnaires, s’inscrira dans l’acceptation de la démocratie et du jeu parlementaire. Il ne s’agirait pas d’une restauration de l’ancien régime ni d’une dictature islamiste. Aujourd’hui, un modèle fascine le monde arabe. Il s’agit du parti qui dirige la Turquie depuis huit ans [L’AKP]. »
 

La prévision d’Olivier Roy s’est réalisée. À cette différence qu’à l’épreuve du pouvoir les Frères musulmans se sont rapidement discrédités. De même en Turquie, où les heurts contre le gouvernement et le parti au pourvoir (l’AKP), sur la place Taksim à Istanbul, comme sur la place Tahrir au Caire, montrent la crainte d'une islamisation à marche forcée de la société et le rejet du conservatisme.

À Marcel Gauchet, auteur de L’Avènement de la démocratie. À l’épreuve des totalitarismes (Gallimard), de conclure : « Aujourd’hui, on découvre que la réappropriation identitaire de l’islam que l’on croyait incompatible avec la modernité est ce qui a permis de l’intégrer. Voilà le débouché de ce travail souterrain : on peut être croyant musulman et désirer être libre dans une démocratie.[…] Le principe de légitimité démocratique a gagné à l’échelle planétaire. »

Tandis que Tayyip Recip Erdoğan en Turquie, comme Mohamed Morsi en Égypte, multiplient les provocations contre ces mouvements de contestation fondés sur le refus de l’islamisme et la croyance dans la démocratie, doit-on s’attendre à un Printemps du Bosphore, sur les pas du Printemps arabe ?