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(cc) Wikimedia Commons / Cryonics

Sciences / Société

Cryogénisation : suffit-il d’être congelé pour rester le même ?

Cédric Enjalbert publié le 09 janvier 2017 4 min
La justice britannique a autorisé une adolescente atteinte d’un cancer en phase terminale à être cryogénisée après sa mort. Mais, en admettant que les possibilités scientifiques et technologiques le permettent, que préserve-t-on vraiment à travers la cryogénisation ?

« J’ai seulement 14 ans et je ne veux pas mourir mais je sais que je vais mourir. » L’adolescente britannique qui a écrit ces mots est morte d’un cancer le 17 octobre 2016. Mais elle a obtenu, avant de s’éteindre, le droit d’être cryogénisée. Elle souhaitait que son corps soit confié à sa mère avant d’être congelé ; plus circonspect, son père s'est résolu à accéder à son désir, même s’il craignait, dans l’hypothèse où la science permettait de la « réveiller », que l’adolescente ne se retrouve isolée, « sans famille et dans une situation désespérée ».

Le juge Peter Jackson a rendu le 18 novembre 2016 une décision inédite, répondant à une demande « sans précédent ». Mais il n’a pas voulu pour autant statuer sur le principe de la cryogénisation, appelant plutôt à combler un vide juridique et à prendre en compte les nouveaux défis légaux et éthiques que pose l’avancée des sciences. La pratique reste interdite en France. Selon la loi du 15 novembre 1887, chacun a en effet le droit d'organiser ses funérailles comme il l’entend, à condition, comme le précise un arrêté du 6 janvier 2006, de rester dans le cadre d’une inhumation, d’une incinération ou du don de son corps à la science.

 

Transhumanisme

Deux sociétés à but non lucratif proposent ce service aux États-Unis : Cryonics Institute, où la jeune femme britannique a été cryogénisée, et Alcor, dirigé par l’utopiste Max More, cofondateur de l’Extropy Institute, une organisation non lucrative censée promouvoir l’extropianisme, soit une philosophie transhumaniste mâtinée d’utopisme social. L’entreprise KrioRus s’est également lancée sur la marché, en Russie.

La cryogénisation est coûteuse. Les parents de l’adolescente anglaise auraient ainsi payé 43 000 euros. De son côté, Alcor propose la cryogénisation du corps entier à 200 000 dollars (180 000 euros), ou de la tête seulement, pour 80 000 dollars (72 000 euros). Tous ces « services » reposent sur une croyance très optimiste, sinon immodérée, dans les progrès de la science, sur la possibilité de réveiller les morts ou de reconstituer un corps. Mais, au-delà même des questions scientifiques et de la possibilité effective de réanimer un corps cryogénisé, à l’avenir, suffit-il d’être préservé du temps pour rester le même ? En prémunissant le corps, les organes et le cerveau de la décomposition, immortalise-t-on l’identité de la personne ?

 

Continuité psychologique...

Pour le philosophe anglais Derek Parfit, mort lui-même le 1er janvier dernier, l’identité de la personne réside dans le maintient de la continuité mentale, dans une « connexité psychologique », soit la relation directe qui existe entre deux états psychologiques. Dans les pas de Locke, le philosophe opte pour une approche dite « réductionniste » considérant d’abord que tous les faits peuvent être décrits de manière « impersonnelle », mais aussi que tout ce qui fait de nous une personne peut être réduit à certains faits, en l’occurrence des processus mentaux et physiques connectés. Selon lui, il n'existe pas d’ego assurant l'identité personnelle. Il n’existe pas d’identité parfaitement déterminée. Derek Parfit nous invite à déconsidérer la notion même d’identité personnelle, allant jusqu’à dire qu'il est difficile de répondre à la question : « Est-ce que je vais mourir ? » Le cerveau d’une personne cryogénisée remplira-t-il les mêmes fonctions mentales et adoptera-t-il les mêmes processus neurophysiologiques à son réveil ? La personne retrouvera-t-elle une forme de continuité mentale ? Rien n'est moins sûr.

 

Ou identité narrative ?

Pour Paul Ricœur, qui s’est opposé au réductionnisme de Derek Parfit dans Soi-même comme un autre, la personne ne se réduit à une continuité psychologique, à une suite de faits. Elle repose sur la richesse d’une « identité de soi », sur ce qu’il appelle une « ipséité », soit une identité réflexive qui ne soit pas uniquement la reconnaissance du même, « à laquelle un être humain accède grâce à la médiation de la fonction narrative ». Comme il l’écrit autrement dans Temps et Récit : « l’histoire d’une vie ne cesse d’être refigurée par toutes les histoires véridiques ou fictives qu’un sujet se raconte sur lui-même. Cette refiguration fait de la vie elle-même un tissu d’histoires racontées. » L’identité selon Ricœur n’est donc pas figée, elle se recompose en fonction nos relations avec les autres : « l'Autre n'est pas seulement la contrepartie du Même, mais appartient à la constitution intime de son sens », précise-t-il dans Soi-même comme un autre.

En ce sens, la crainte du père de l’adolescente anglaise récemment cryogénisée pourrait être légitime. En se réveillant dans quelques centaines d’années, dans un contexte absolument étranger, alors que tout ses proches auraient disparu, le récit qu’elle pourrait se faire de son histoire personnelle n’aurait sans doute plus aucun sens. En dépit de la préservation du corps et de la conservation des organes des ravages du temps, elle serait donc devenue tout autre, étrangère à elle-même.

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