Catherine Dulac : “L’instinct parental peut être considéré comme l’ancêtre des comportements altruistes”

Qu’est-ce que l’instinct parental ?

Catherine Dulac : Il est ce qui fait qu’en présence d’un nouveau-né, un individu adulte reçoit le signal qu’il envoie et qui lui dit : « Tu dois t’en occuper. » Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre ce que nous faisons sans y penser. Cela nous paraît naturel d’aider un bébé qui pleure, et la souris fait la même chose, comme d’autres mammifères. Mais, au fond, un animal qui doit s’occuper de sa propre survie n’a a priori aucune raison de se sacrifier et de partager sa nourriture avec cet individu dépendant, qui ne sait rien faire, qui crie, qui pleure. Si la souris s’occupe du petit, c’est parce qu’il y a une zone du cerveau activé par ses cris ou son odeur qui enclenche une série de comportements. Après un temps de gestation puis un allaitement qui mobilisent beaucoup de ressources maternelles, la mère a tout intérêt à ce que son investissement soit protégé. C’est pourquoi l’instinct parental est très développé chez les mammifères, il est la conséquence de leur biologie et en particulier de l’implication des ressources maternelles. Les femelles ont un intérêt évolutif, pour la survie de l’espèce, à cet instinct de protection. Même une femelle vierge aura ce comportement face à des souriceaux. Les mâles, au contraire, vont les attaquer, ils sont spontanément infanticides car ils ont un intérêt à assurer leur propre reproduction et donc à tuer les petits de leurs rivaux… jusqu’au moment où ils deviennent pères. Alors l’instinct parental se déclenche. D’un point de vue évolutif, le comportement parental est souvent considéré comme l’ancêtre des comportements altruistes, ce que je trouve absolument fascinant.

“Nos recherches enrichissent et rendent plus complexe la question de la différence sexuée”
Catherine Dulac

Cela signifie-t-il que les mâles sont aussi pourvus des neurones de l’instinct parental ?

Exactement. Nous avons pu situer dans l’hypothalamus un type de neurones responsables du comportement parental. Mais notre surprise est de l’avoir trouvé aussi bien dans les cerveaux mâles que femelles. Seulement, il ne s’exprime pas de la même façon et dans les mêmes conditions. Un mâle souris ne développe son instinct parental qu’après avoir eu un comportement reproducteur avec une femelle. Cet instinct parental prend trois semaines à se déclencher, ce qui correspond au temps de gestation chez la souris. Nous avons fait l’expérience d’isoler un mâle juste après la reproduction. Deux semaines après, il présentait toujours un comportement infanticide. Trois semaines plus tard, il avait développé un comportement parental. On ne sait pas encore comment expliquer ce changement radical de comportement, mais il est clair que c’est le comportement reproducteur qui déclenche une cascade de changements par un mécanisme encore inconnu, peut-être hormonal, peut-être d’une autre nature, qui donne lieu au comportement parental. De ce point de vue, nos recherches enrichissent et rendent plus complexe la question de la différence sexuée.