Walter & Asja. Une histoire de passions

Une recension de Frédéric Manzini, publié le

Walter, ici, c’est Walter Benjamin, philosophe et théoricien de l’art allemand, auteur de L’Œuvre d’art à l’ère de sa reproduction technique et de bien d’autres ouvrages, consacré à Baudelaire notamment. Asja, elle, c’est Asja Lacis, actrice et metteuse en scène, célèbre pour son travail sur le théâtre politique – et plus précisément prolétarien, qu’elle promouvait comme son ami Bertolt Brecht.

Très rapidement après leur rencontre à Capri en 1924, naquit entre eux deux une relation passionnée. Femme mariée mais libre, femme flamboyante surtout, celle que Walter Benjamin avait d’abord qualifiée de « Lettone bolcheviste » parvint à subjuguer le jeune homme introverti et bouleversa le cours de sa vie en élargissant ses perspectives qui se limitaient alors au seul horizon d’une carrière universitaire incertaine : « En termes enflammés, bruyants, prononcés en staccato, explique la politologue Antonia Grunenberg dans l’essai qu’elle consacre à cette liaison, [Asja Lacis] proclamait le rôle que jouait la vie réelle pour le théâtre et la manière dont le théâtre de la révolution agissait sur la vie. » Bousculant celui qu’elle prenait alors pour un intellectuel bourgeois coupé du monde réel, Lacis sensibilisa Benjamin au marxisme, à l’engagement politique et à la lutte des classes. Au point d’en faire « un partisan loyal du parti communiste » ? C’est ce qu’elle crut, même si la réalité est sans doute plus nuancée du côté d’un philosophe peu enclin à faire totalement sien l’espoir d’une révolution prolétarienne. Mais l’évocation des parcours croisés des deux amants est aussi l’occasion d’une passionnante plongée dans l’Europe de l’entre-deux-guerres entre Naples, Paris, Berlin, Moscou et Riga, alors que le nazisme monte et que l’Union soviétique de Staline connaît famines et purges. Arrêtée, emprisonnée puis condamnée, Asja Lacis est elle-même envoyée dans un camp de travail. Walter Benjamin, lui, réfugié en France, très affaibli physiquement et moralement, se suicide à Portbou par crainte d’être pris par la Gestapo. Fin tragique qu’elle n’apprendra que des années plus tard, comme un symbole de la désunion de leurs destinées respectives.

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