Une pensée en exil. La philosophie de Rachel Bespaloff 

La meilleure porte d’entrée pour découvrir la pensée de Rachel Bespaloff (1895-1949) est peut-être davantage une porte de sortie : moins la fixation sur une position enclose que l’ouverture sur une errance infinie. Cette clé de lecture oriente le travail que Laura Sanò consacre à cette philosophe oubliée de la première moitié du XX^e siècle. Exilée, Bespaloff le fut en tous les sens du mot. « Déjà étrangère […] dans sa patrie d’origine, en raison de son appartenance à une communauté jamais entièrement intégrée » – la communauté juive –, elle connut une vie d’exode et de séparations, de l’Ukraine à New York en passant par Paris. Sa pensée est à l’image de sa trajectoire : « Une pensée sans cesse en voyage, et comme sans cesse en quête […] d’un point de référence stable pour ce déplacement incessant. » Cette quête d’une transcendance insaisissable ne se résorbera jamais : « Inépuisable tension vers une terre promise qui reste […] toujours au-delà de l’horizon. » Sa courte vie durant, Bespaloff affichera un « refus répété de “s’installer” dans une position définie » et sa détermination à « empêcher tout figement dans un système définitif ». Même avec ses amis proches, elle ne renoncera jamais à « l’infatigable débat-combat » qui fait la vie de la pensée. C’est seulement dans la musique, peut-être, que la philosophe effleurera du doigt quelque chose de cette transcendance « à la fois nécessaire et inatteignable », sans « l’immobiliser dans des concepts ». Un parcours éminemment émouvant.