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“Migrant Mother” (Florence Owens Thompson et ses enfants) de Dorothea Lange (1936), colorisé par John Boero (2009). © Domaine public

L’extrait

Judith Shklar, “Obligation, loyauté, exil”

Judith Shklar publié le 18 novembre 2020 3 min

Fidèle à sa défense des victimes de l’histoire et de la cruauté politique, Judith Shklar a, à de nombreuses reprises, alerté sur la souffrance des migrants et réfugiés qui, tout au long du XXe siècle, ont sillonné la planète. Elle voit, dans le refus de les accueillir, le signe de la persistance d’une vision étroite – ethnique et nationale – de la loyauté politique, et plaide pour accorder la citoyenneté au plus grand nombre.

 

« Qu’est-ce que l’exil ? Je désespère d’en donner une vision d’ensemble. Un exilé est un individu qui quitte involontairement le pays dont il est citoyen. En général, cela est dû à la force politique, mais l’extrême pauvreté peut être vue comme une forme d’expulsion coercitive. […] L’illégalité gouvernementale […] viole la confiance d’une manière qui sape les fondements même de la vie publique, et corrompt les motifs de notre obéissance à la loi. La loyauté politique à l’égard du pays dont on est exilé peut sans doute survivre, mais pas l’obligation d’obéir à ses lois. Les exilés n’ont aucune obligation d’obéir au pays qui les a expulsé illégalement. L’illégalité officielle peut aussi créer une forme non-territoriale d’exil, par l’exclusion interne de la citoyenneté qui frappe les esclaves, les immigrés, et certains groupes ethniques, piégés moralement dans les frontières d’un État tyrannique. L’individu isolé moralement en est réduit à vivre sans autre règle que celle de sa conscience privée. […]

 

Je crois qu’il y a une différence de degré entre l’exclusion des exilés et les autres victimes de l’injustice publique. Les réfugiés qui ont été exclus et n’ont aucun espoir de retour n’ont plus aucune obligation à l’égard de leur ancien État. Après une telle expulsion, il n’est plus possible de revendiquer ses droits. […] Mais il y a autre chose : les plupart des exilés d’aujourd’hui n’ont en réalité nulle part où aller, quoiqu’ils comptent faire. La terrible réalité de notre monde, c’est que personne ne veut accepter cette immense population d’exilés. Ils ont besoin de quelque part où aller, mais les lieux manquent. Il est possible, pour certains groupes ethniques, d’émigrer en masse dans un pays qui les accueille, comme les pieds-noirs d’Afrique du Nord qui regagnèrent la France ou les Juifs qui s’installèrent en Israël. Mais ce sont des exceptions. […] La plupart des exilés sont simplement jetés dans les limbes. […]

 

Dans le monde politique d’aujourd’hui, la loyauté politique est souvent très exclusive, teintée de nationalisme, ce qui a conduit à la création d’une population considérable de réfugiés, et entretient l’exil de ces réfugiés et de leurs enfants. En qui ces gens peuvent-ils placer leur confiance, s’ils sont jetés dans des États qui refusent d’accorder la citoyenneté à quiconque n’appartient pas à la nation ? Seraient-ils, d’ailleurs, de mauvais citoyens ? […] Les diasporas – dans les pays qui ont permis leur naturalisation – sont en réalité en général particulièrement respectueuses de la loi. […]

 

En faisant dépendre l’obligation politique de l’appartenance à un groupe et de la loyauté ethnique et nationale, […] en excluant des individus qui seraient prêts à faire leur la loi, mais parlent une autre langue, la cohésion communautaire, si souvent louée comme seul fondement valide de l’obéissance et de désobéissance politique, révèle son insuffisance première et intolérable. Telle est la voie de l’injustice. […] La situation critique des exclus et des exilés est insoutenable. Cela me fait dire que les droits humains ont beaucoup à voir avec la manière dont cette situation évoluera. Si la citoyenneté dans quelque pays que ce soit est, comme le défend Hannah Arendt, le premier droit humain nécessaire – car tous les autres droits dépendent de celui-ci –, alors offrir la citoyenneté aux exilés pourrait bien être la manière la plus pertinente de réapprivoiser la loyauté politique. »

 

Extrait de Judith Shklar, « Obligation, loyalty, exile », in : Political Theory, Vol. 21, N°2 (Mai 1993), pp. 181-197. Traduction Octave Larmagnac-Matheron. 

Traduit par Octave Larmagnac-Matheron
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