Devenir Beauvoir

Une recension de Victorine de Oliveira, publié le

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les travaux biographiques consacrés à Simone de Beauvoir ne sont pas légion. Il faut regarder du côté des Anglo-Saxons pour trouver son bonheur. Et encore, les ouvrages signés de l’Américaine Deirdre Bair et de la Britannique Toril Moi sont épuisés. Comme si Beauvoir, ou du moins sa vie, n’inspirait pas plus la curiosité que cela. Après tout, ne connaît-on pas les moindres détails de la vie de celui que l’on présente à la fois comme son compagnon et inspirateur, Sartre ? Et par extension, de la sienne ? Par ailleurs Beauvoir ne s’est-elle pas elle-même chargée de la tâche dans les Mémoires d’une jeune fille rangée, La Force de l’âge ou La Cérémonie des adieux ? Mais quelle que soit l’ambition de son entreprise autobiographique, Beauvoir n’a pas tout dit. Kate Kirkpatrick la soupçonne même d’avoir minimisé son rôle de philosophe, pour privilégier l’image d’une femme de lettres plus conforme à la tradition française. C’est tout l’intérêt de la biographe britannique (et oui, encore) : montrer que Beauvoir, loin de raccrocher le wagon existentialiste initié par Sartre, formulait dès ses jeunes années une philosophie des valeurs pensées sous l’angle du devenir. C’est son débat intérieur avec la foi qui amorce la réflexion. Comment Dieu peut-il accepter qu’une partie de l’humanité doive renoncer à ses droits pour n’endosser rien d’autre qu’un destin domestique ? Comment n’est-Il pas intervenu pour sauver sa meilleure amie Zaza d’une mort injuste, alors qu’elle se démenait pour faire un mariage d’amour avec Maurice Merleau-Ponty ? La perte de la foi mène Beauvoir à s’interroger sur le sens profond de son existence : « L’acte, c’est l’affirmation de nous-même », « Est-ce que nous-même n’était pas avant l’acte », « Deviens qui tu es ? Connais-toi toi-même ? Vois-toi toi-même ? » écrit-elle dans ses carnets à l’âge de 19 ans. Autant de prémisses à la formule qui fera le succès de Sartre et de l’existentialisme après la guerre : « L’existence précède l’essence. » Sartre a lui-même reconnu la fécondité de leurs discussions pour l’élaboration de sa propre pensée. Ce qui n’a pas empêché lecteurs et commentateurs de toujours accorder à Beauvoir une place secondaire dans l’ordre de la pensée – le supplément littéraire du Times va jusqu’à la qualifier, encore en 2001, de simple « esclave sexuelle de Sartre ». Le deuxième sexe lui a accordé une place de choix dans le champ du féminisme. Reste celui de la philosophie, que la biographie de Kirkpatrick tente de lui faire définitivement conquérir.

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