Cahier Raymond Aron

Une recension de Jean-Marie Durand, publié le

Le retour en grâce de Raymond Aron (1905-1983) pourrait s’interpréter comme le signe d’une revitalisation de l’hémisphère droit de la pensée politique, tant le philosophe incarna la figure du conservateur éclairé. Un « spectateur engagé » à droite, critique des aspirations égalitaires excessives, de la vision progressiste de l’histoire, qui ne pouvait être, selon lui, que tragique (conviction renforcée après son séjour à Berlin en 1932-1933). Pourtant, à lire ce Cahier de L’Herne, son vernis craque légèrement pour laisser apparaître des vertus humaines dont notre époque semble avoir fait le deuil, au point de projeter en elles ce qui désormais nous manque (et ce qui manque en particulier aux intellectuels de droite aujourd’hui) : une certaine lucidité associée à une honnêteté intellectuelle, un sens de la nuance et de la complexité, le goût de la « ligne claire » dans l’expression de la pensée, « la rigueur dans l’usage des concepts», comme le souligne ici Philippe Urfalino. Aron se jouait aussi des paradoxes, jusqu’à se voir comme un « modéré avec excès ». Rien n’importait plus à ses yeux que de « mentionner les faits avec loyauté », « ménager sa place au doute et faire pièce aux durs rêveurs qui en pincent pour le pire, à tous ces féroces prêcheurs qui préfèrent attiser les haines plutôt qu’éclairer les esprits », rappelle dans ce livre Jean Birnbaum. Aron se considérait comme moins pétillant et créatif que ses contemporains, Sartre et Kojève en tête. Pourtant, ainsi que l’écrit Daniel J. Mahoney, il fut un « maître en matière de réflexion politique », un pourfendeur du nihilisme moral et des fanatismes. « Explorer le réel et s’efforcer de penser les possibles » : sa conception de la sociologie défendue dans sa leçon inaugurale au Collège de France en 1970 illustre combien son conservatisme ne sacrifia jamais son goût de la compréhension des événements, conditionnée au refus de l’idée de système comme point d’observation immuable. Cet ethos de l’humilité et de la prudence montre à quel point nous avons encore à apprendre de Raymond Aron.

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